L’entente conclue avec le NPD prévoit que les premiers pans du programme doivent être mis en œuvre d’ici la fin de l’année.

(Ottawa ) Le gouvernement Trudeau craint de prêter le flanc aux critiques de mauvaise gestion financière en procédant à la création d’un nouveau programme national de soins dentaires pour les familles à faible revenu en un temps record, comme le réclame le NPD.

Des sources gouvernementales ont confié à La Presse que la création de ce programme, qui devrait prendre normalement deux à trois ans de travail, risque de devenir un fouillis administratif parce que le Nouveau Parti démocratique (NPD) tient mordicus à ce que les premiers pans du programme soient mis en œuvre rapidement, soit d’ici la fin de 2022.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Pour respecter l’échéancier serré prévu dans l’entente conclue en mars entre le chef du NPD, Jagmeet Singh, et le premier ministre Justin Trudeau — entente qui assure la survie du gouvernement libéral minoritaire à la Chambre des communes jusqu’en juin 2025 —, Ottawa envisage de verser à l’avance un montant forfaitaire couvrant les frais de soins dentaires aux familles à faible revenu sans qu’elles aient l’obligation de fournir la preuve de l’obtention de ces services.

L’Agence du revenu du Canada (ARC) serait chargée de colliger la liste des familles à faible revenu admissibles et de verser les sommes.

« En procédant de la sorte aussi rapidement, on risque de verser de l’argent à des gens sans avoir la certitude qu’ils l’utiliseront pour obtenir des soins dentaires », a indiqué une source gouvernementale de haut niveau qui s’exprimait sous le couvert de l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement de ce dossier.

« Je doute fortement que ça va fonctionner. Mais on a conclu une entente avec le NPD. Il va falloir vivre avec », a ajouté cette source. Dans les rangs libéraux, on craint que ce nouveau programme soit marqué par les mêmes ratés que la Prestation canadienne d’urgence (PCU), qui a été versée à des individus qui n’y avaient pas droit quand a éclaté la pandémie de COVID-19.

Paiement en amont

Une autre option serait de demander aux familles de payer la facture et de soumettre ensuite une demande de remboursement au gouvernement fédéral. Mais on estime que ces familles n’ont pas les moyens de payer les services au départ. Résultat : peu de gens pourraient profiter du programme. C’est d’ailleurs ce qu’avance le NPD.

L’ARC pourrait toutefois demander des informations supplémentaires aux bénéficiaires sur les services dentaires qu’ils ont obtenus avant de verser une deuxième prestation.

L’entente conclue entre le NPD et le gouvernement Trudeau prévoit que le nouveau programme serait réservé aux familles dont le revenu est inférieur à 90 000 $ et aux personnes dont le revenu annuel est inférieur à 70 000 $.

Le régime doit d’abord couvrir les personnes de moins de 12 ans en 2022 et ensuite être élargi aux moins de 18 ans, aux aînés et aux personnes en situation de handicap en 2023. La mise en œuvre complète du régime est prévue pour 2025.

Environ neuf millions de Canadiens seront admissibles à ce programme, une fois qu’il aura été pleinement mis en œuvre. Le nouveau régime fédéral permettrait de bonifier celui qui existe au Québec, où les familles peuvent obtenir des soins partiels comme les obturations pour les enfants jusqu’à ce qu’ils aient 10 ans. Mais les traitements préventifs et les examens réguliers ne sont pas couverts.

Ultimatum

Récemment, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a lancé un ultimatum aux libéraux de Justin Trudeau : l’entente conclue en mars deviendra caduque si le gouvernement ne respecte pas l’engagement de créer le programme national de soins dentaires d’ici la fin de l’année.

Dans une entrevue accordée au Toronto Star, il a expliqué que la création de ce programme était l’un des éléments les plus importants de l’entente paraphée au printemps entre le premier ministre et lui.

J’ai clairement fait savoir au premier ministre que ce programme devait voir le jour. Il n’y a pas d’autre option qui s’offre [aux libéraux]. Cela doit se concrétiser. L’entente repose sur cela.

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

En coulisses, les ministres libéraux sont conscients que le chef du NPD ne badine pas. Mais on s’insurge contre le court délai qu’on leur impose pour mettre sur pied un programme à ce point complexe. Le gouvernement fédéral paie déjà les coûts des soins dentaires des Premières Nations. Les quelque 900 000 Autochtones qui sont admissibles n’ont pas à régler eux-mêmes la facture. Ottawa a conclu des ententes avec quelque 30 000 dentistes à travers le pays. Ces derniers offrent les services et facturent ensuite le gouvernement fédéral.

Selon nos informations, le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, veut s’inspirer des services offerts aux Premières Nations en mettant sur pied le nouveau programme pour les familles à faible revenu.

Au Québec, tous les enfants de tous les milieux peuvent avoir des examens, des obturations et des extractions jusqu’à l’âge de 10 ans. Ces soins sont couverts par la RAMQ. La version précédente de ce texte indiquait que le programme s’appliquait seulement aux familles à faible revenu.

En savoir plus
  • 1,7 milliard
    Coût annuel du programme national de soins dentaires
    SOURCE : ministère des Finances