À l’heure où les urgences débordent faute de personnel, une solution pourrait être d’y faire travailler des… physiothérapeutes. Leur présence en première ligne dans les hôpitaux améliore la prise en charge des patients et désengorge les services, selon une étude menée au CHU de Québec.

Le taux d’occupation des urgences au Québec a atteint 117 % le 10 août, en hausse par rapport aux dix jours précédents, selon l’indice de taux d’occupation des urgences du Québec d’Index Santé.

Une piste pour les désengorger serait d’accroître la présence de physiothérapeutes dans les urgences — il y en a d’ailleurs au CHU de Québec depuis 2020. La présence de physiothérapeutes améliore la prise en charge de patients présentant des problèmes musculosquelettiques légers, tout en déchargeant les urgentologues, indique Simon Dalle-Vedove, président de l’Association québécoise de la physiothérapie (AQP).

« L’expertise de l’urgentologue peut être mise à profit pour les cas prioritaires, explique-t-il. Et nous, les physiothérapeutes, on peut l’assister avec les cas moins urgents, ce qui est vraiment notre force. »

Dans la province, près de 25 % des consultations aux urgences sont liées à des problèmes musculosquelettiques légers, comme des entorses, des chutes et des fractures possibles, selon l’AQP.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) envisage l’implantation à plus large échelle de physiothérapeutes dans les urgences de la province, indique M. Dalle-Vedove. « Mais avec la situation dans les urgences en ce moment, on se dit que peut-être ça pourrait aller plus vite. »

Le MSSS confirme qu’il y a en ce moment « quelques projets pilotes pour l’intégration de physiothérapeutes offrant un service de physiothérapie en accès direct à l’urgence ».

Toutefois, le Ministère veut attendre le bilan des projets pilotes avant d’étendre la pratique. « Les résultats permettront d’approfondir les avantages de ce nouveau modèle de soins ainsi que les possibilités de déploiement dans d’autres centres, précise par courriel Robert Maranda, relationniste médias pour le MSSS. Il est toutefois trop tôt pour en tirer des conclusions ou en faire des bilans. »

Dans la capitale, un projet pilote mené dès 2018 a eu des résultats assez concluants pour que le déploiement de physiothérapeutes dans les urgences se fasse dès 2020.

Une rencontre à ce sujet entre l’APQ et une conseillère politique du cabinet du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, est prévue mardi prochain.

Moins d’attente, plus de satisfaction

Les physiothérapeutes peuvent voir les patients sans qu’ils soient orientés par un médecin, comme ils le font déjà en pratique privée. Aux urgences, ils peuvent donc évaluer et prendre en charge de façon autonome les patients préalablement vus au triage — et qui souffrent d’un problème touchant leur champ d’expertise.

Selon plusieurs études menées au Québec et ailleurs — notamment en Australie et au Royaume-Uni, où cette pratique est déjà en place –, cette façon de procéder diminue le temps d’attente des patients, leur douleur, leur prise de médicaments et le taux de consultations répétées pour le même problème.

Par exemple, d’après une étude menée par l’Université Laval en 2018 et 2019, les patients pris en charge par des physiothérapeutes dans les urgences du CHU de Québec ont attendu trois heures de moins que les autres, soit environ deux heures d’attente au lieu de cinq, indique l’AQP.

De plus, leur état clinique s’était amélioré en comparaison des autres patients. Il n’y avait eu aucune nouvelle consultation à l’urgence pour le même problème dans le mois suivant la première consultation, par rapport à 21 % de nouvelles consultations dans le groupe non pris en charge par le physiothérapeute.

On fait gagner beaucoup de temps à des personnes qui attendent 8 ou 10 heures aux urgences pour une entorse, par exemple, alors qu’elles n’ont même pas besoin d’être là.

Isabelle Gagnon, physiothérapeute et professeure à l’Université McGill

Prêts à venir en renfort

L’AQP a fait un sondage auprès de ses membres le printemps dernier, pour savoir si ceux-ci souhaitaient travailler dans les urgences. Sur 308 répondants, 271 ont répondu positivement.

« La grande majorité des répondants ont répondu qu’un poste dans les urgences les intéressait, détaille M. Dalle-Vedove. Et partout dans la province ! Ça, c’était vraiment impressionnant. »

Une pénurie de physiothérapeutes n’est pas à craindre, selon lui. « Dans la pratique active de physiothérapie, avoir des postes de ce niveau-là, avec des responsabilités supplémentaires [comme aux urgences], c’est très attrayant, estime-t-il. C’est sûr que ça va attirer les gens. »

Même sans appui gouvernemental, plusieurs centres hospitaliers tentent déjà d’aller de l’avant avec cette approche, affirme M. Dalle-Vedove. « Il y a des physiothérapeutes très engagés qui prennent les devants dans les hôpitaux où ils travaillent, mais là, je pense qu’au niveau du MSSS, il faut passer aux actes. »

Une présence rassurante

Pour la première fois au Canada, l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME) a mené une étude sur la présence de physiothérapeutes dans des urgences pédiatriques. Résultats : une prise en charge plus rapide des jeunes patients et une satisfaction plus grande des parents.

De novembre 2021 à juin dernier, les physiothérapeutes de l’Hôpital de Montréal pour enfants ont rencontré de jeunes patients aux urgences à raison de trois après-midi par semaine. Ils se sont concentrés d’abord sur l’évaluation des commotions cérébrales avant d’élargir leurs consultations, vers la fin du projet pilote, à d’autres problèmes musculosquelettiques légers (cote 3, 4 ou 5 en termes de gravité). Sur les 1006 patients vus aux urgences et présentant la problématique ciblée par la recherche, les physiothérapeutes en ont rencontré 78, explique Isabelle Gagnon, physiothérapeute-chercheuse à HME-CUSM et responsable de l’étude.

Des résultats préliminaires positifs

« J’ai trouvé que c’était vraiment intéressant et que, pour les parents et les enfants, c’était rassurant d’être vus plus tôt », témoigne Lina Osseiran, physiothérapeute rencontrée aux urgences de l’HME. « C’est stressant, par exemple, d’arriver avec un bébé qui est tombé en bas du lit. Comme parent, on se sent mal. »

Les résultats préliminaires de l’étude semblent confirmer ces bénéfices. En comparaison des patients vus dans les mêmes heures par les équipes régulières des urgences, ceux rencontrés par un physiothérapeute avaient une « meilleure satisfaction », détaille Mme Gagnon. « Ça concernait l’inclusion des gens, le temps accordé au patient, le temps donné pour poser des questions, etc. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Rose en compagnie de sa mère, Annie Marcil

C’est le cas de Rose, adolescente de 14 ans rencontrée à l’HME après qu’elle s’est évanouie et cogné la tête. Avant de voir un médecin, elle a eu droit à une évaluation complète avec Mme Osseiran. Son cas semblait finalement bénin, mais « si elle s’était vraiment frappé fort la tête, j’aurais trouvé ça positif qu’elle soit vue immédiatement [par la physiothérapeute] », a observé sa mère, Annie Marcil.

Orienter plus vite, avec plus d’information

Autre effet positif noté durant le projet pilote : l’évaluation des physiothérapeutes permettait un meilleur transfert de documentation entre les équipes de l’hôpital, si le patient nécessitait un suivi pour une commotion cérébrale, par exemple. « Évidemment, quand la physiothérapeute était là, on avait l’information 100 % du temps, comparé à 30 % quand il n’y avait pas de physiothérapeute », explique Mme Gagnon.

Finalement, les jeunes patients étaient aussi dirigés plus rapidement vers des programmes de suivi. « Il y avait moins de “on va attendre pour voir” », soutient-elle, parce que le diagnostic était plus précis. « Les enfants [qui en avaient besoin] étaient référés le jour même et avaient un suivi dans la semaine. »

En recherche de financement, l’équipe de Mme Gagnon espère pouvoir reprendre l’étude à l’automne, avec des physiothérapeutes présents aux urgences 7 jours sur 7.

En savoir plus
  • Plus de 5900
    Nombre de physiothérapeutes au Québec
    Source : Association québécoise de la physiothérapie
  • 10 593
    Nombre de visites aux urgences de l’HME en 2019 pour des blessures musculosquelettiques ou des traumatismes à la tête (incluant les cas graves)
    Source : Isabelle Gagnon, physiothérapeute-chercheuse à HME-CUSM
    70 000
    Nombre de visites par année à l’urgence de l’HME
    Source : Isabelle Gagnon, physiothérapeute-chercheuse à HME-CUSM