(Québec) L’ouverture des premières maisons des aînés provoquera un déplacement significatif des travailleurs de la santé, notamment des CHSLD, vers ces nouvelles installations, a pu constater La Presse. Afin d’éviter de déshabiller Pierre pour habiller Paul en pleine pénurie de personnel, les établissements sont forcés de planifier un démarrage progressif qui s’échelonnera sur plusieurs mois.

« Nous, ce qu’on vise, c’est d’ouvrir un étage à la fois », explique le chargé de projet des maisons des aînés et alternatives au CISSS des Laurentides, Michel Gauthier. La région voit pousser cinq maisons des aînés sur son territoire, dont quatre doivent accueillir leurs premiers résidants à l’automne.

« Compte tenu des délais de livraison de certains bâtiments et de la disponibilité de la main-d’œuvre, l’ouverture complète des maisons des aînés et alternatives […] s’échelonnera au moins jusqu’à l’automne 2023 », confirme le CISSS des Laurentides. C’est un an après leur livraison promise pour l’automne 2022.

Quatre autres CISSS et CIUSSS confirment qu’ils doivent prévoir des ouvertures par étapes pour s’assurer d’avoir suffisamment de main-d’œuvre. Par exemple, le CISSS de la Montérégie-Ouest ouvrira la maison des aînés de Châteauguay selon un « déploiement en quatre phases qui pourrait s’échelonner sur une période de cinq à six mois ».

Seulement pour cette résidence, le plan d’effectif compte plus de 200 postes. « L’ouverture par phases permet justement de s’assurer d’un déploiement harmonieux selon la situation de la main-d’œuvre », écrit l’établissement par courriel.

Délai serré

À partir du moment où le bâtiment est livré par la Société québécoise des infrastructures, l’établissement de santé dispose d’un délai de huit semaines pour amorcer le processus d’accueil, fait valoir le CISSS des Laurentides. Il faut aménager les lieux et former le personnel. C’est un délai serré, convient M. Gauthier, mais réaliste si tout se passe dans l’ordre.

Le besoin de main-d’œuvre pour les cinq résidences des Laurentides est estimé à 771 employés pour le secteur clinique (préposés, infirmières auxiliaires et infirmières), auxquels il faut ajouter 89 autres postes dans les secteurs de soutien (services alimentaires, fonctionnement des installations, hygiène et buanderie).

Pour le secteur clinique, le CISSS des Laurentides estime qu’un peu plus de 50 % des postes ont trouvé preneur à l’interne. Une tendance observée dans d’autres établissements de santé qui ont accepté de répondre aux questions de La Presse. Les postes sont « très attractifs » auprès des employés du réseau.

Le personnel est séduit à l’idée de travailler dans un environnement à la fine pointe de la technologie et où les soins seront offerts de façon personnalisée aux aînés.

« Un poste comblé [dans ce contexte], ça veut aussi dire un poste qui va devenir vacant dans un autre site », illustre M. Gauthier. Cela se traduit par une gymnastique d’organisation complexe en pleine pénurie de main-d’œuvre.

On doit s’assurer qu’on déplace l’employé sans que l’on compromette la sécurité dans l’autre CHSLD.

Michel Gauthier, chargé de projet des maisons des aînés et alternatives au CISSS des Laurentides

Au CIUSSS de la Capitale-Nationale, les deux tiers des postes affichés ont été pourvus à l’interne jusqu’à présent. Le CISSS de Laval, qui vient d’inaugurer le CHSLD Val-des-Brises, un premier établissement rénové selon le modèle des maisons des aînés, a aussi remarqué qu’une « bonne partie » des postes ont été pourvus par des employés du réseau.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le CHSLD Val-des-Brises, à Laval

L’établissement se prépare à ouvrir une première maison des aînés à l’automne et veut éviter de fragiliser ses autres sites. « On veut ouvrir de façon sécuritaire pour que les autres milieux ne tombent pas en rupture de services », explique la directrice adjointe à l’hébergement du CISSS de Laval, Marie-France Dubois.

La crainte d’un « effet domino »

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec et la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) s’inquiètent aussi du mouvement de personnel. Le réseau est déjà lourdement fragilisé par la pénurie de main-d’œuvre.

« L’employeur, qu’est-ce qu’il va faire ? Est-ce que c’est de la main-d’œuvre indépendante qui va [pourvoir les postes laissés vacants] ? », demande la présidente du syndicat des professionnels en soins des Laurentides, Julie Daignault. Elle dit craindre un « effet domino » qui accentuera la pénurie.

« On s’attend à un drainage du personnel », soutient le président de la FSSS-CSN, Réjean Leclerc, qui représente notamment les préposés aux bénéficiaires. Les deux syndicats déplorent par ailleurs qu’ils aient encore bien peu d’informations sur les conditions associées à ces nouveaux postes en maison des aînés.

Si le gouvernement reconnaît qu’il est l’employeur et que le transfert se fait comme les conventions le prévoient, c’est une chose, mais si l’employeur [le traite] comme une nouvelle embauche, c’est autre chose. À cette étape-ci, nous avons l’indication que les deux avenues sont possibles.

Réjean Leclerc, président de la FSSS-CSN

Un portrait encore flou

À quelques mois de l’ouverture des premières maisons des aînés, Québec entretient le flou sur les besoins de main-d’œuvre. La ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, affirmait encore récemment qu’il faudrait entre « 3800 et 4000 » employés pour exploiter ces nouveaux établissements. Son cabinet a confirmé vendredi que, pour 2022-2023, les besoins en main-d’œuvre étaient estimés à 4000 employés en ETC (équivalent temps complet) pour les 33 maisons des aînés qui doivent être livrées à l’automne.

De son côté, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) paraît sous-estimer les besoins. Alors que la seule région des Laurentides dit avoir besoin de près de 800 travailleurs dans le secteur clinique pour ses cinq installations, il soutient que les 46 maisons des aînés nécessiteraient l’embauche à temps complet de 336 infirmières, 576 infirmières auxiliaires et 1483 préposés aux bénéficiaires, selon un document déposé lors de l’étude des crédits budgétaires ce printemps.

Le MSSS note que « les travaux entourant l’évaluation des besoins étant toujours en cours, les données présentées sont provisoires et pourraient changer ultérieurement ». Une précision étonnante alors que l’on commencera à couper des rubans dans trois mois à peine.

Selon Marguerite Blais, « tous les CISSS et CIUSSS ont déposé » leurs plans d’effectifs pour les maisons des aînés. Le MSSS refuse de les rendre publics sous prétexte qu’ils font toujours l’objet d’analyses et de discussions. « Il reste des éléments à réviser à court terme », plaide le cabinet de Mme Blais.

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