(Québec) La piètre gestion des équipements de protection individuelle (EPI) par le gouvernement du Québec et sa « réaction tardive » pour s’en procurer en 2020 ont coûté une fortune aux contribuables, révèle la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc.

Dépourvu de réserve d’EPI au début de la pandémie de COVID-19, Québec a tardé à corriger le tir et a dû acheter à fort prix des masques, des blouses et des gants en pleine pénurie mondiale, ce qui a fait perdre près de 1 milliard de dollars au Trésor public, selon le rapport de Mme Leclerc déposé à l’Assemblée nationale mercredi.

C’est sans compter que Québec a fait affaire avec certains fournisseurs qui n’étaient pas intègres et qui lui ont vendu des équipements non conformes. Les pertes sont évaluées à 15 millions de dollars et les poursuites judiciaires en cours s’élèvent à un peu plus de 170 millions. « Le Centre d’acquisitions gouvernementales n’a pas toujours vérifié adéquatement l’intégrité des fournisseurs et la conformité de leurs EPI », constate Guylaine Leclerc.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Guylaine Leclerc, vérificatrice générale du Québec

Comme elle le rappelle dans son rapport, Québec a constitué en 2006 une réserve d’urgence d’EPI en cas de pandémie d’influenza ; il en a utilisé une partie lors de la pandémie de H1N1 en 2009 et a épuisé les stocks restants l’année suivante. Or, « aucune autre mesure n’a ensuite été mise en place pour pallier l’élimination de cette réserve », peut-on lire.

Pourtant, le Plan québécois de lutte à une pandémie d’influenza adopté en 2006 prescrivait le maintien d’une réserve d’urgence. Les plans d’urgence sanitaire n’ont quant à eux pas été mis à jour au fil des ans, si bien que les directives sur l’utilisation des EPI n’étaient pas adéquates au moment de faire face à la COVID-19.

Résultat : « Le MSSS et le réseau de la santé et des services sociaux n’étaient pas bien préparés pour favoriser la disponibilité et l’usage approprié des EPI en cas de pandémie », conclut la vérificatrice générale.

Selon elle, Québec « aurait dû être plus vigilant face aux signes avant-coureurs de la pandémie » de COVID-19 et a eu une « réaction tardive ».

L’Alberta plus proactif que le Québec

Pendant que l’Alberta doublait ses commandes d’EPI dès le 15 décembre 2019, le gouvernement Legault a commencé à agir deux mois plus tard, timidement, avec un premier achat de 750 000 masques le 18 février. C’est seulement à la fin du mois de mars 2020 qu’il a commencé à se procurer des équipements de façon plus importante.

Pourtant, dès le 5 février, « plusieurs établissements indiquent au MSSS avoir des problèmes d’approvisionnement pour certains EPI ».

Les principales actions du MSSS en matière d’approvisionnement ont été réalisées plus d’un mois après la déclaration par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’une urgence de santé publique de portée internationale, le 30 janvier 2020.

Extrait du rapport de la vérificatrice générale du Québec

On peut lire dans le rapport que « ce n’est que le 6 mars 2020 que le MSSS a effectué son premier inventaire des stocks d’EPI […], alors que le directeur général de l’OMS avait signalé au début février que la demande en EPI était 100 fois plus élevée que d’habitude ».

« C’est surtout à partir de la mi-mars, à la suite de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire par le gouvernement du Québec, que les principales mesures pour assurer l’approvisionnement en EPI et leur distribution dans le réseau ont été instaurées. Parmi celles-ci, notons les achats massifs qui ont débuté le 22 mars 2020 », écrit la vérificatrice générale.

En retard

Québec a donc commencé ses emplettes bien trop tard, au pire moment qui soit, pendant que la course mondiale pour les EPI était déjà partie. Il « a dû acheter des EPI à prix très élevé lors de la pénurie mondiale de 2020. La baisse de la valeur des EPI par la suite a entraîné une perte financière évaluée à 938 millions de dollars au 31 mars 2021 », estime Guylaine Leclerc.

Le gouvernement a dépensé 3 milliards pour acheter des masques, des blouses, des gants, des lingettes, des désinfectants, des lunettes et des visières entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021.

La VG dénonce des ratés dans la distribution et l’utilisation des EPI en raison des directrices du Ministère. « Au cours des premières semaines de la pandémie, les CHSLD et les RPA avaient un accès limité aux EPI », tandis qu’on demandait aux employés de réutiliser les EPI en faisant fi des normes compte tenu de la pénurie. Cela a contribué à la transmission du virus et à l’hécatombe dans les CHSLD au printemps 2020.

La VG déplore « le manque d’information pour évaluer les besoins en EPI », contrairement au modèle existant en Ontario. Guylaine Leclerc écrit même qu’« en janvier 2022 », après presque deux ans de pandémie, « l’information relative aux stocks et à la consommation d’EPI restait toujours à parfaire ». Le fichier central des stocks n’indique pas la date de péremption des équipements, par exemple.

Réactions politiques

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault, premier ministre du Québec

Vouloir refaire l’histoire puis dire qu’on aurait dû, avant, acheter des masques, c’est un peu facile. […] Depuis ce temps-là, on s’est ajustés.

François Legault, premier ministre du Québec

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Photo prise lors d’un point de presse de Joël Arseneau, député des Îles-de-la-Madeleine, du Parti Québecois.

Le gouvernement du Québec a dormi au gaz pendant que les autres s’organisaient, avec, pour résultat, qu’on a payé des équipements à des prix complètement déraisonnables.

Joël Arseneau, chef parlementaire du Parti québécois

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

La préparation n’était pas là, alors donc aujourd’hui, je vous dis qu’on a appris. […] Quand j’ai entendu le chiffre [de 1 milliard], moi aussi j’ai trouvé que c’était beaucoup. C’est facile de vouloir refaire l’histoire, mais si ça a coûté 1 milliard pour sauver du monde, c’était le prix à payer à ce moment-là.

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux