Un regroupement de médecins et de professionnels demande que le réseau de la santé et des services sociaux soit exclu du projet de loi 96 sur le français au Québec.

La Coalition pour des services sociaux et de santé de qualité (CSSSQ) s’inquiète des effets néfastes que pourrait entraîner l’adoption de la loi en raison de l’obligation de s’adresser en français aux nouveaux arrivants n’ayant aucune connaissance de la langue ou des notions limitées de celle-ci.

Dans une lettre ouverte publiée mercredi, la CSSSQ estime que la version actuelle du projet de loi « pourrait mettre la vie des gens en danger ou avoir des impacts négatifs sur la santé mentale si elle est mise en application ».

« Il est déjà assez difficile de comprendre des informations dans des conditions stressantes, l’ajout de barrières inutiles ne fera qu’accroître ce risque et nuira à la capacité des fournisseurs à offrir des soins optimaux », écrit la Coalition, qui regroupe 500 médecins et professionnels de la santé, ainsi qu’une trentaine d’organismes et de groupes.

La réforme de la loi 101 déposée par le ministre de la Justice et responsable de la langue française, Simon Jolin-Barrette, propose que les services publics communiquent exclusivement en français avec les immigrants six mois après leur arrivée au Québec.

Une exemption est prévue « lorsque la santé, la sécurité publique ou les principes de justice naturelle l’exigent », mais elle est jugée comme imprécise.

Pour la Dre Suzanne Gagnon, qui travaille auprès de réfugiés dans la région de Québec, demander aux professionnels de la santé de s’adresser en français à cette clientèle après six mois est « complètement irréaliste ».

« C’est une clientèle qui est vulnérable ; 80 % d’entre eux ne parlent ni français ni anglais à leur arrivée. […] Certains étaient dans des camps de réfugiés depuis une vingtaine d’années, ont des alphabets différents du nôtre. Certains sont peu scolarisés et sont plus âgés », témoigne la cofondatrice de la Clinique santé des réfugiés au CIUSSS de la Capitale-Nationale.

« Chaque mot est important »

La communication est un élément essentiel dans le traitement des patients, soutient la médecin clinicienne qui doit souvent faire appel à des interprètes — parlant parfois anglais — lors de ses rendez-vous.

« Si la personne a eu une écharde dans le doigt, on peut s’arranger », mais des cas complexes comportent des nuances et des subtilités, mentionne au bout du fil la Dre Gagnon, membre de la CSSSQ.

« Si on doit parler de sujets sensibles comme des problèmes de santé mentale, d’enfants qui ont des problèmes de comportement pour lesquels on devrait faire intervenir la DPJ, de dépression, d’arrêt de soins ; chaque mot est important.

« On a beau parler avec un langage vulgarisé le plus possible, mais si la personne nous comprend à moitié, tout cela peut se passer très mal, amener des erreurs médicales, voire des décès », indique Dre Gagnon, spécifiant que le droit au consentement libre et éclairé pour recevoir ou non des soins est encadré au Québec.

Bien qu’elle considère important de franciser les immigrants, cette tâche ne revient pas au système de santé, soutient la médecin clinicienne.

Elle craint par ailleurs que l’obligation de s’adresser en français occasionne de la délation entre les professionnels de la santé, pour dénoncer ceux qui continueraient de recourir à des interprètes ou une autre langue.

La CSSSQ déplore que ses démarches pour faire modifier le projet de loi « n’ont pas été concluantes » auprès du cabinet du ministre Jolin-Barrette.

Le bureau du ministre assure que la Loi sur les services de santé et les services sociaux « demeure intacte ».

« Cela a même été inscrit noir sur blanc dans le projet de loi 96. Les citoyens vont continuer d’accéder à des soins de santé. Il n’y a rien dans le projet de loi qui empêchera les Québécois de se faire soigner », a indiqué par courriel l’attachée de presse du ministre à La Presse Canadienne.

Cet article a été produit avec le soutien financier des Bourses Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelles.