(Montréal) Après avoir pratiquement tout tenté pour mettre fin au TSO – temps supplémentaire obligatoire – la FIQ tente le tout pour le tout, en portant plainte à l’Organisation internationale du travail, une agence de l’ONU.

Dans sa plainte, la Fédération interprofessionnelle de la santé invoque les conventions 29 et 105 qui portent sur le travail forcé, et qui ont été signées par le Canada.

Dans la convention 29, le travail forcé ou obligatoire y est défini comme « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ».

Et les pays qui ont ratifié la convention 105 « s’engagent à supprimer le travail forcé ou obligatoire et à n’y recourir sous aucune forme ».

La FIQ évoque aussi une forme de discrimination contre les femmes, puisque la profession est composée très majoritairement de femmes. Cela contreviendrait à d’autres conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT).

« Du travail forcé »

En entrevue avec La Presse Canadienne vendredi, la présidente de la FIQ, Julie Bouchard, a expliqué le raisonnement qui justifie la plainte. « Lorsqu’on oblige quelqu’un, peu importe ses raisons, qu’elles soient valables ou non, selon l’employeur, on l’oblige à demeurer au travail. Donc, on tombe inévitablement dans du travail forcé. En d’autres mots, on l’emprisonne au travail, soit pendant quelques heures ou pour un quart de travail complet, peu importe les obligations familiales ou personnelles que cette personne-là peut avoir. »

Dans sa plainte, la FIQ explique que le TSO est devenu une sorte d’outil de gestion pour combler des manques prévisibles de personnel, et non pour des cas de force majeure.

À force de subir le TSO, au détriment de leur santé et de leur vie familiale et personnelle, les infirmières finissent par être découragées, épuisées, en dépression, en invalidité, quittent le réseau public ou la profession — ce qui aggrave encore le recours au TSO, explique la FIQ à l’OIT.

La FIQ a aussi adressé des lettres aux ministres québécois et canadien concernés pour les aviser de sa démarche.

« On demande au gouvernement fédéral, via ce recours-là, de mettre un frein à ça, parce que le gouvernement provincial actuel n’est pas capable de le faire », a expliqué Mme Bouchard.

25 000 griefs

Avant de porter plainte à l’OIT, la FIQ s’était déjà plainte aux gouvernements du Québec successifs, au tribunal du travail, aux ordres professionnels, sans succès.

Aussi, les membres de la FIQ ont déjà collectivement participé à des « journées sans TSO », à titre de moyen de pression, en 2019 et en 2021, dans le but de prouver qu’il y avait moyen de faire autrement.

Dans les déclarations sous serment et les lettres déposées au soutien de sa plainte, la FIQ précise que pas moins de 25 000 griefs ont été déposés contre le recours aux heures supplémentaires obligatoires.

Dans une de ces déclarations sous serment, la vice-présidente de la FIQ, Nathalie Lévesque, rapporte avoir été « témoin du chantage, de l’intimidation et de menaces exercées par certains gestionnaires pour imposer le travail » — d’où l’analogie faite avec le « travail forcé ».

Le processus

L’OIT est une agence spécialisée de l’ONU dont 187 États sont membres. Le processus veut qu’après le dépôt de la plainte, le gouvernement visé doit y répondre et s’expliquer.

Le processus est assez long ; il peut prendre un an, voire davantage. Après analyse du dossier, l’organisation peut émettre des recommandations. Son pouvoir est essentiellement moral.

Mme Bouchard est consciente du fait que l’OIT n’a qu’un pouvoir moral, mais, selon elle, une recommandation dans ce contexte peut être gênante.

« Du moment où il y a une recommandation [de l’OIT], ça va les rendre très mal à l’aise. Et ils vont devoir répondre de leur gestion », fait valoir la présidente de l’organisation de 76 000 infirmières, infirmières auxiliaires et autres professionnelles en soins.