(Toronto) Le taux annuel de consultations en santé mentale et en toxicomanie par les médecins eux-mêmes a augmenté de 27 % en Ontario au cours de la première année de la pandémie, selon une nouvelle étude qui soulève des inquiétudes quant aux impacts psychologiques de cette crise au sein de la profession médicale.

Un article publié vendredi par la revue médicale JAMA Network Open révèle que du 11 mars 2020 au 10 mars 2021, il y a eu 1038 consultations pour 1000 médecins, comparativement à 817 au cours de la même période avant la pandémie de COVID-19.

Les conclusions de l’étude sont fondées sur une analyse qui a relié de façon anonyme les dossiers d’inscription de 34 055 médecins praticiens en Ontario aux données administratives recueillies dans le cadre du régime d’assurance-maladie de la province. L’auteur principal, le docteur Daniel Myran, médecin en santé publique et chercheur à l’Hôpital d’Ottawa, a déclaré que la possibilité de suivre les tendances populationnelles au fil du temps en faisait « l’une des premières études de ce genre ».

Le docteur Myran se dit préoccupé par cette forte augmentation des consultations liées à la santé mentale par des médecins. « C’est tout à fait cohérent avec les sondages menés auprès des médecins, qui témoignent de moments difficiles » pendant la pandémie, dit-il.

Les chercheurs ont identifié des augmentations à la fois du nombre de médecins qui ont eu accès aux services de santé mentale et du nombre de médecins qui sont revenus consulter par la suite. La proportion de médecins qui ont pris au moins un rendez-vous pour une consultation liée à la santé mentale et à la toxicomanie au cours d’une année est passée de 12,3 % à 13,4 % au cours de la période d’étude.

Cette augmentation relative était plus prononcée chez les médecins sans antécédents de consultations pour de tels problèmes, a déclaré le docteur Myran. « Ce que ça suggère, c’est que la pandémie a notamment eu un impact sur la santé mentale des médecins qui étaient auparavant résilients à ces problèmes de santé mentale », dit-il.

Pas qu’en première ligne

Certains reportages ont déjà rendu compte que les médecins qui fournissent des soins aigus aux patients atteints de la COVID-19 ont eu plus de mal que leurs collègues d’autres spécialités qui n’étaient pas sur la « ligne de front ». Mais selon le docteur Myran, l’augmentation des consultations ne variait pas beaucoup en fonction des rôles joués par chacun dans le réseau. « Nous avons constaté qu’à peu près universellement, la pandémie semble avoir eu un impact sur tous les médecins. »

En plus des fardeaux imposés par la pandémie à toute la population en général, les médecins sont confrontés à des facteurs de stress professionnels tels que le risque accru de contracter la COVID-19 et de transmettre le virus à un être cher, et à faire face à des pénuries de médicaments, qui pourraient entraver leur capacité à soigner adéquatement leurs patients, souligne le chercheur. Le docteur Myran précise aussi que l’essor des téléconsultations a facilité l’accès des médecins aux services de santé mentale, en atténuant les préoccupations concernant la stigmatisation professionnelle et en offrant une plus grande flexibilité d’horaire.

La littérature existante suggère aussi que la pandémie a exacerbé des problèmes de santé mentale qui existaient déjà chez les médecins avant la COVID-19, a déclaré M. Myran. Il cite par exemple un sondage, mené en ligne auprès des membres de l’Association médicale canadienne, qui révélait que 30 % des répondants en 2017 déclaraient avoir souffert d’épuisement professionnel.

Le chercheur rappelle par ailleurs que l’étude de son équipe ne prend en compte que les consultations couvertes par le régime d’assurance-maladie de l’Ontario, ce qui omettrait les services de santé mentale privés tels que ceux fournis par un psychologue ou un travailleur social.

La présidente de l’Association médicale canadienne, Katharine Smart, trouve prometteur que des médecins cherchent de l’aide pour faire face au stress de la pandémie. Mais elle croit que l’étude du docteur Myran souligne la nécessité de soutenir les médecins avec plus de ressources pour prendre soin d’eux-mêmes et, par extension, fournir de meilleurs soins à leurs patients.

« La santé mentale et la santé physique ne peuvent plus être considérées comme deux choses distinctes : ces deux aspects de notre santé doivent être bien pour que l’on soit en bonne santé, et c’est également vrai pour les médecins », a déclaré la docteure Smart.