Le nombre de surdoses mortelles liées aux opioïdes a augmenté fortement en 2020 au Québec pour ensuite baisser légèrement au cours des derniers mois. Mais les statistiques continuent d’être élevées, révèlent les plus récentes données de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), publiées vendredi.

« En 2020, on a vraiment vu une forte hausse des surdoses. Là, c’est moins marqué. Mais il y en a quand même plus qu’en 2019 », constate la Dre Marie-Ève Morin, médecin de famille qui travaille en dépendance à Montréal.

Depuis 2017, l’INSPQ suit de près l’évolution de la crise des opioïdes dans la province. Dans les premiers mois de 2021, le nombre de morts causées chaque mois par une intoxication suspectée aux drogues ou aux opioïdes a diminué par rapport à l’an dernier, où un nombre particulièrement élevé de cas avaient été rapportés. Mais il a recommencé à augmenter durant l’été.

Nombre de morts causées par une intoxication possible aux drogues ou aux opioïdes de juillet à septembre (moyenne par mois)

  • 2021 : 42
  • 2020 : 56
  • 2019 : 35
  • 2018 : 34

Source : INSPQ

L’INSPQ documente aussi le nombre de visites aux urgences liées à une intoxication possiblement causée par des opioïdes. De janvier à septembre 2021, une moyenne de 109 visites par mois a été enregistrée. Soit le même nombre qu’en 2020, et un peu plus qu’en 2019 (104 visites par mois).

La réalité de la crise des opioïdes varie légèrement d’une région à l’autre. À Montréal, on a enregistré une hausse de 25 % des morts probablement liées à une intoxication aux drogues sur 12 mois, entre mars 2020 et mars 2021. Signe que la situation est de plus en plus tendue, 58 interventions d’urgence ont été effectuées dans les sites d’injection supervisés de Montréal en mars 2021. Certaines d’entre elles ont nécessité un appel au 911. Il s’agit d’un sommet jamais atteint depuis l’ouverture de ces sites dans la province en 2017.

Visites avec intervention d’urgence dans des sites d’injection ou de consommation supervisés à Montréal (moyenne par mois)

  • Janvier 2020 à août 2020 : 8,6
  • Janvier 2021 à août 2021 : 36,9

Source : CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

En Montérégie, on rapporte à ce jour 45 morts soupçonnées d’être liées aux opioïdes pour 2021 contre 75 en 2020 et 39 en 2019. À Laval, le nombre de signalements de surdoses sévères de janvier à juin est passé de 6 en 2019 à 14 en 2020 et 12 en 2021.

Hausse de la détresse

Selon les experts, plusieurs facteurs peuvent expliquer la hausse des surdoses constatée en 2020, première année de pandémie, et qui reste préoccupante en 2021.

Le stress mental et physique causé par la pandémie a pu pousser certains à augmenter leur consommation, indique le CISSS de la Montérégie-Centre. La Dre Morin explique que 50 % des personnes dépendantes aux opioïdes souffrent de douleurs chroniques. La pandémie, et le confinement qui en a découlé, a augmenté l’isolement social et la détresse de plusieurs, en plus de complexifier l’accès aux soins de santé, dit-elle.

Quand on souffre, on veut se soulager. Pendant la pandémie, certains se sont tournés vers la nourriture, l’alcool, le jeu. D’autres vers la drogue.

La Dre Marie-Ève Morin, médecin de famille qui travaille en dépendance

Jason (nom fictif), Montréalais de 26 ans, a été victime d’une surdose au printemps 2020. Après différents problèmes personnels et financiers qui ont bouleversé sa routine, Jason avait consommé ce jour-là en compagnie d’une personne qu’il connaissait peu. « Cette personne m’a possiblement sauvé la vie en appelant l’ambulance. Je me suis réveillé à l’hôpital. J’avais fait une surdose », dit-il.

Le jeune homme qui consomme des opioïdes depuis près de 10 ans affirme qu’il est « de plus en plus facile de trouver du fentanyl » à Montréal. Les données de l’INSPQ semblent donner raison à Jason. Depuis 2017, la proportion de morts liées aux opioïdes avec présence de fentanyl, une drogue 40 fois plus puissante que l’héroïne, ne cesse d’augmenter.

Nombre de morts avec présence de fentanyl ou de ses analogues

  • 2018 : 44
  • 2019 : 43
  • 2020 : 71
  • 2021 (de janvier à septembre) : 60

Source : INSPQ

La Dre Morin explique qu’avec la fermeture des frontières liée à la pandémie, l’approvisionnement en substances a été bouleversé. « Certaines substances coûtent deux fois plus cher qu’avant », dit-elle. Conséquence : les producteurs utilisent d’autres substances dans ce qu’ils vendent. Comme le fentanyl.

Une réalité que constate également Catherine Boucher-Rodriguez, agente de planification, de programmation et de recherche à la Direction de santé publique de Laval.

On voit surgir de nouveaux opioïdes de synthèse dont la létalité est plus grande.

Catherine Boucher-Rodriguez, agente de planification, de programmation et de recherche à la Direction de santé publique de Laval

Le fentanyl se retrouve aussi mélangé à d’autres drogues, comme des benzodiazépines contrefaites, vendues dans la rue, explique Mme Boucher-Rodriguez.

Elle ajoute que durant les premiers mois de la pandémie, certains services de traitement, de prévention et de réduction des risques ont diminué partout au Québec. Il y a notamment eu une diminution de la distribution de naloxone, un antidote permettant de sauver des vies en cas de surdose. Ces services ont toutefois repris en 2021. En novembre, le gouvernement québécois a d’ailleurs lancé une importante campagne pour promouvoir l’usage de la naloxone.

Sur le terrain, sept régions travaillent actuellement au déploiement de sites de prévention des surdoses. À Laval, on veut utiliser un autobus où les utilisateurs de drogue pourront venir consommer dans un environnement sécuritaire. Un service d’analyse de drogue serait aussi offert.

Si les autorités de santé publique du Québec restent sur le qui-vive avec la crise des opioïdes, force est toutefois de constater que la province reste moins touchée que la Colombie-Britannique, notamment (voir tableau).

Le 29 novembre dernier, la coroner en chef du Yukon rapportait 21 morts par surdose d’opioïdes depuis janvier sur son territoire, soit un taux de 48,4 décès pour 100 000 habitants. Le taux le plus élevé du pays.

Taux brut (pour 100 000 personnes) de morts totales apparemment liées à une intoxication aux opioïdes de janvier à mars 2021

  • Canada : 19,4
  • Colombie-Britannique : 40,4
  • Alberta : 31,9
  • Saskatchewan : 16,6
  • Manitoba : n. d.
  • Ontario : 19,6
  • Québec : 4,6
  • Île-du-Prince-Édouard : 2,5
  • Nouveau-Brunswick : 3,6
  • Nouvelle-Écosse : 5,3
  • Terre-Neuve-et-Labrador : 3,8
  • Yukon : 48,4
  • Territoires du Nord-Ouest : 8,9

Source : Santé Canada

Crise des surdoses : de nouvelles substances dans les rues

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

L’isotonitazène se présente souvent sous la forme d’une imitation d’un comprimé de 30 mg d’oxycodone, un opioïde médicamenteux normalement vendu sur ordonnance.

De nouvelles substances moins connues rendent encore plus toxique la drogue de rue au Québec, entraînant des risques accrus de surdose, prévient la Gendarmerie royale du Canada.

« Ce qu’on voit, sur le plan des opioïdes principalement, c’est qu’il y a une multitude de nouvelles substances psychoactives qui sont présentes dans la rue, soit dans les comprimés de médicaments contrefaits, soit dans les poudres », explique la caporale Mélanie Perrier, du service de sensibilisation aux drogues et au crime organisé de la Gendarmerie royale du Canada.

La pandémie a accentué les craintes que les drogues soient de plus en plus contaminées, selon le rapport de l’année 2020 sur l’analyse des drogues par l’Agence des services frontaliers du Canada, que La Presse a obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Il y a une augmentation des rencontres avec des combinaisons de polydrogues au Canada, particulièrement de celles contaminées avec des opioïdes de synthèse, comme le fentanyl.

Extrait du rapport de l’année 2020 sur l’analyse des drogues par l’Agence des services frontaliers du Canada

L’année 2020 a vu une augmentation de 1636 % des quantités de fentanyl sous forme solide interceptées à la frontière canadienne, et de 2975 % des quantités de fentanyl sous forme liquide, par comparaison à l’année 2019, détaille aussi le rapport. Par ailleurs, l’interception des substances chimiques permettant de fabriquer des drogues, notamment le fentanyl, a aussi augmenté de 70 % entre 2019 et 2020, passant de 14 kg à 512 kg.

PHOTO FOURNIE PAR LA GRC

Comprimés contrefaits d’hydromorphone

Risque multiplié

Le fentanyl n’est cependant plus la seule drogue à surveiller sur le marché. En 2020, l’isotonitazène, un opioïde de synthèse encore plus puissant, a fait son apparition dans les rues. Et depuis, d’autres substances chimiques méconnues prolifèrent. « Il y en a une multitude, affirme Mélanie Perrier, et ils sont tous dans la famille des "tonitazènes", qui sont des substances sur lesquelles on a très peu d’information, que ce soit quant à leurs effets ou à leur force. »

Ce manque de données multiplie les risques de surdose chez les utilisateurs de drogue.

Par exemple, si une personne est habituée à s’injecter une certaine quantité d’héroïne, et qu’elle se retrouve finalement avec cette substance-là, il peut y avoir des surdoses.

La caporale Mélanie Perrier, du service de sensibilisation aux drogues et au crime organisé de la Gendarmerie royale du Canada

L’autre risque, c’est le mélange de plusieurs substances, à l’insu des consommateurs. « Ce n’est pas rare qu’on retrouve des comprimés ou des poudres qui contiennent deux, trois et même quatre substances différentes, soutient la caporale Perrier. C’est vraiment un problème en ce moment dans la rue. »