(Québec) Le gouvernement Legault a à l’œil les médecins de famille afin de les amener à prendre en charge davantage de patients sans toutefois leur imposer de cibles à atteindre ni de pénalités. Avec son projet de loi, Québec s’engage à ce que les patients orphelins voient un médecin en moins de 36 heures.

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a poussé un soupir de soulagement jeudi. « Ça va dans le sens que l’on recherche, [le gouvernement] semble avoir mis de côté les menaces et la coercition », a affirmé le président de la FMOQ, le DLouis Godin en entrevue.

Il y a encore une semaine, le premier ministre François Legault menaçait d’imposer des sanctions aux médecins qui prennent en charge moins de 500 patients. « Ce qu’on souhaite, c’est avoir une entente négociée. Mais on a besoin de voir des résultats », a prévenu M. Legault, jeudi.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a déposé au Salon bleu le projet de loi 11, qui vise « à augmenter l’offre des services de première ligne par les médecins omnipraticiens et améliorer la gestion de l’offre ». Ce qu’il décrit comme un « canevas de travail » vers une entente négociée obligera les médecins à offrir davantage de disponibilités à leur Groupe de médecine de famille (GMF).

Le projet de loi n’évoque d’ailleurs pas l’imposition de pénalité pour les médecins qui ne prendraient pas en charge suffisamment de patients.

On n’est pas dans un projet de loi avec des punitions. Pour moi, c’est un projet de loi de gestion.

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux, en conférence de presse

Québec veut déployer une plateforme de gestion de rendez-vous où un patient orphelin pourra sélectionner une plage horaire. « C’est un peu comme le système de Trivago », a illustré le ministre Christian Dubé. Par l’entremise de cette plateforme, le GMF pourra évaluer le besoin et se partager la tâche.

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Le DLouis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec

« Ça rejoint beaucoup l’approche que l’on a, de trouver des façons d’être plus accessibles pour nos patients et pour ceux qui n’ont pas de médecin de famille », a admis le DLouis Godin.

Nouvelle « dynamique »

M. Dubé estime que cette façon de faire viendra changer « complètement la dynamique », alors que « la pression ne sera plus sur les épaules du médecin », mais plutôt sur l’équipe du GMF. « C’est de dire, au lieu de leur pousser cette responsabilité-là qu’ils ont de la misère à prendre, pourquoi on ne leur donne pas des outils que la GMF peut prendre en leur nom ? », a-t-il indiqué.

Christian Dubé s’est engagé à ce que les patients orphelins ou pas puissent grâce à cette plateforme avoir accès à une consultation en moins de 36 heures. En 2018, la Coalition avenir Québec avait promis que tous les Québécois auraient d’ici quatre ans un médecin de famille et un accès en 36 heures à un service de première ligne. Jeudi, M. Dubé ne s’est pas engagé à ce que ce soit chose faite d’ici octobre 2022.

Il y a eu une pandémie, on est rendus à 800 000 [noms] sur la liste, et je vous dis qu’elle est probablement plus grande que ça. Ça fait que soyons réalistes.

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Au moins 800 000 Québécois sont inscrits sur le Guichet d’accès à un médecin de famille. M. Dubé a dit s’attendre que « le vrai chiffre » tourne plus autour de 1,5 million de personnes sans médecin, puisque ce n’est pas tout le monde qui s’inscrit sur le guichet.

Disponibilités accrues

Les GMF pourraient se partager les pénalités si on n’arrive pas à offrir suffisamment de rendez-vous pour qu’un patient ait accès au service de première ligne en 36 heures, a expliqué M. Dubé.

Le texte législatif prévoit d’ailleurs que le gouvernement, par règlement, pourra « déterminer le pourcentage des plages horaires de disponibilité d’un médecin qui doivent être offertes du lundi au vendredi, avant 8 h et après 19 h, ainsi que le samedi et le dimanche », est-il écrit.

« L’objectif des GMF était d’être ouverts sept jours sur sept incluant les soirs de semaines », a rappelé M. Legault. « Donc, oui, il faut s’assurer, et je comprends que des médecins de famille qui n’aiment pas ça à tour de rôle travailler le soir et la fin de semaine, mais écoutez, les Québécois ont besoin d’une prise en charge », a-t-il argué.

Le projet de loi prévoit également que les médecins doivent ajouter à leur clientèle des patients dûment inscrits au Guichet d’accès à un médecin de famille pour réduire la liste d’attente. Sur ce point, le DGodin dit avoir besoin d’éclaircissements, puisque les médecins doivent aussi pouvoir prendre en charge des patients qui ne sont pas sur cette liste.

Un meilleur accès aux données

Le projet de loi vient aussi permettre à la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ) de transmettre aux établissements de santé des données nécessaires « à la planification des effectifs médicaux ».

« Il y a une première étape qui est une étape de gestion de dire : on doit au moins savoir ce que font les médecins. Chaque cas est particulier. Des médecins qui font plus d’heures à l’hôpital, c’est normal qu’ils prennent en charge moins de patients, mais les PDG n’ont pas cette information », a dit M. Legault.

Les listes qui pourront être transmises aux établissements seront anonymisées, mais pourront permettre de connaître le nombre de patients pris en charge par les médecins. Québec vise à faire adopter son projet de loi d’ici février 2022.

Ce que disent les partis de l’opposition

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Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

Je pense aux patients du Québec, aujourd’hui, alors que le gouvernement leur offre une opération marketing ! Le projet de loi ne comprend aucune cible, aucun livrable et aucune obligation, donc les Québécois n’ont aucune garantie d’obtenir les services auxquels ils ont droit.

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

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Vincent Marissal, porte-parole en matière de santé de Québec solidaire

Ça semble traduire beaucoup plus l’obsession du ministre comptable de la Santé pour les colonnes de chiffres que pour une réelle accessibilité des patients et des patientes au Québec pour un médecin de famille. S’il s’agissait tout simplement de changer les logiciels de prise de rendez-vous, le gouvernement aurait pu aller en appel d’offres plutôt que de déposer un projet de loi.

Vincent Marissal, porte-parole en matière de santé de Québec solidaire

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Joël Arseneau, chef parlementaire du Parti québécois

Le gouvernement semble vouloir se donner un cadre de négociations avec les médecins, donc aller chercher davantage de données et de pouvoir mieux gérer pour les médecins leurs plages horaires et leurs rendez-vous.

Joël Arseneau, chef parlementaire du Parti québécois

Avec Charles Lecavalier, La Presse