Après un an de service en CHSLD, les préposés aux bénéficiaires ayant reçu la formation accélérée déplorent des conditions de travail « très, très difficiles », parfois « intenables » et surtout loin des promesses du gouvernement Legault. Un dur constat que partagent autant ceux qui ont quitté le navire… que ceux qui restent.

(Québec) « Très sincèrement, je me pose la question. » C’est la réponse que donne Franck Rivals lorsqu’on lui demande s’il restera en poste au 21 décembre prochain, à la fin de son année de service obligatoire en CHSLD. L’homme de 56 ans est tout juste de retour au travail après un mois de congé de maladie pour épuisement.

« J’aimerais continuer parce que c’est un beau métier. Mais, c’est juste de la production qu’on fait. Par rapport à ce qu’on nous avait fait miroiter [c’est-à-dire cette idée] de prendre soin des gens, c’est loin de la vérité. C’est affligeant parce que les premiers à pâtir, ce sont les bénéficiaires. On donne les soins de base et c’est tout. »

Alors que la première vague de la pandémie a été dévastatrice dans les CHSLD, Québec a déployé d’urgence une formation écourtée pour recruter 10 000 préposés aux bénéficiaires (PAB). Les recrues allaient être rémunérées pendant la formation. Un emploi à temps complet à 26 $ l’heure, « soit 49 000 $ par année », leur était promis.

Ils devaient s’engager à fournir une année de travail à temps complet en étant disponibles pour tous les quarts, sans quoi ils devraient rembourser la bourse d’études. Pas moins de 148 préposés auraient quitté le réseau entre le 1er et le 30 septembre dernier alors que prenait fin l’année de service obligatoire de la première cohorte.

Sur papier, l’opération est un succès : la première cohorte a permis de former 6885 candidats à l’été 2020. Quelque 594 préposés ont mis fin à leur engagement jusqu’à présent et 291 ont été remerciés, selon un bilan fourni par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

D’autres cohortes, comme celle de Franck Rivals qui a fait partie de la deuxième, ont été déployées aux quatre coins de la province depuis. Si bien qu’en date du 6 octobre, ce sont quelque 9448 candidats qui ont été embauchés, dont 8343 sont toujours employés du réseau public de la santé. Un taux de rétention de 88,3 %.

Près de 300 candidats sont actuellement en formation.

« Énorme » problème de gestion

Hariel Desgagné, qui fait partie de la première cohorte, a accepté de rester en poste après son année obligatoire de service, en septembre.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

N'ayant pas apprécié les conditions de travail en CHSLD, Hariel Desgagné travaille maintenant à l’Unité de courte durée gériatrique à l’hôpital de la Cité-de-la-Santé à Laval.

Mais, elle n’est plus en CHSLD. La femme de 26 ans travaille depuis mars dernier à l’Unité de courte durée gériatrique à l’hôpital de la Cité-de-la-Santé à Laval. « Je n’étais plus capable. Je vivais beaucoup d’intimidation », explique-t-elle, évoquant une intégration difficile des nouveaux préposés dans les équipes en place.

« Il y a un problème énorme » dans la gestion sur tous les plans dans les CHSLD, dit-elle. « Je n’acceptais plus de me faire traiter comme ça, j’étais devenue malheureuse. C’était comme jamais assez », relate celle qui travaillait en restauration et dans l’événementiel avant de répondre à l’appel du gouvernement.

Des préposés consultés par La Presse ont aussi fait état d’une intégration parfois difficile alors qu’ils ont été surnommés les « PAB Legault », ce qui avait une connotation plutôt péjorative au début.

Un phénomène qui s’est estompé au fil du temps, a pu constater la FSSS-CSN au terme d’une tournée syndicale.

Les conditions de travail et le salaire étaient parmi les éléments le plus montrés du doigt par les recrues, selon le syndicat.

Pour arriver à un salaire de 26 $ l’heure, les préposés en CHSLD doivent cumuler différentes primes, comme celles liées à la COVID-19.

« Ça fait un an que j’ai un salaire qui est instable », observe Hariel Desgagné. « Les primes, ça dépend de plein de choses. […] C’est compliqué, c’est l’enfer à comprendre, même le système de la paie, ils ne sont pas capables de répondre à nos questions. Ce n’est pas facile, ce qu’on vit », déplore-t-elle.

Avec le renouvellement des conventions collectives, ils toucheront finalement un salaire de 25,63 $ au 1er avril 2022.

« Dix minutes par patient »

Mais ce qui passe le moins bien selon les témoignages recueillis par La Presse, c’est le décalage entre les propos de François Legault et la réalité du terrain. Dans un plaidoyer pour attirer des candidats dans le métier, le premier ministre avait cité un roman de Marie Laberge dans lequel une relation s’installe entre une préposée et une résidante.

« C’est ça qu’on veut, avait dit M. Legault. Avoir le temps de mettre une débarbouillette fraîche sur le front, masser les jambes puis, surtout, parler, prendre le temps avec une résidante ou un résidant », avait-il illustré à la fin mai 2020.

PHOTO FOURNIE PAR ANN LATRAVERSE

Ann Latraverse a travaillé quelques mois comme préposée aux bénéficiaires après avoir suivi la formation accélérée.

« J’entendais les messages de M. Legault et ça m’interpellait. C’était là que je me voyais. La bienveillance, ça me ressemble et je me suis dit : j’y vais », lance Ann Latraverse, qui a mis fin à son contrat « avec beaucoup de chagrin » avant la fin de son année obligatoire, ce qui l’a obligée à rembourser la bourse d’études.

Le manque de temps pour s’occuper des bénéficiaires et la « négligence organisationnelle » en CHSLD l’ont menée vers la sortie.

« C’est tellement prenant, je ne voulais pas me magasiner un burnout, ça m’atteignait trop », explique celle qui a travaillé quelques mois dans un établissement des Laurentides.

« J’ai un grand cœur et je fais de mon mieux, mais je ne peux pas en faire plus : je cours sans arrêt. Sans arrêt. C’est épuisant […] et j’avoue qu’au bout d’un moment, ce n’est plus tenable », explique pour sa part Franck Rivals.

Les premiers mois étaient d’ailleurs plus faciles alors qu’un maximum de ressources avait été déployé en CHSLD pour freiner l’hémorragie. « Après, ils nous ont ramenés aux ratios d’avant […]. C’est 10 minutes par patient maximum », ajoute-t-il.

Hariel Desgagné estime pour sa part s’être découvert une vocation en travaillant auprès des personnes âgées. Elle n’a que de bons mots pour l’équipe à laquelle elle a pu se joindre à l’hôpital de la Cite-de-la-Santé. « Il ne faut pas avoir peur de dire ce qui se passe […] parce qu’il faut que ça change », lance-t-elle.

« Je suis fière d’être embarquée dans ce projet-là. Je dis bravo à tous les “PAB Legault” ! »

En chiffres

20,55 $ 
Taux horaire actuel des préposés aux bénéficiaires à l’échelon 1 de l’échelle salariale

9210 $
Montant de la bourse d’études pour la formation accélérée de 12 semaines

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux