Bonne nouvelle : le Québec connaît depuis le mois de mai un « baby boom ». Mais cette « hausse marquée » du nombre de naissances, combinée au manque de personnel, pousse à cran les unités de soins en néonatalogie, au point d’obliger des parents de bébés prématurés à accoucher à des centaines de kilomètres de chez eux.

Marie-Hélène Arcand-Lépine, mère d’un bébé prématuré de L’Île-Perrot qui a dû être hospitalisée pendant trois semaines à Sherbrooke, cet été, parce qu’aucun hôpital montréalais n’était en mesure de l’accueillir à la suite d’une rupture subite de membrane, garde un souvenir douloureux de l’expérience.

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Marie-Hélène Arcand-Lépine, mère d’un bébé prématuré de L’Île-Perrot qui a dû être hospitalisée pendant trois semaines à Sherbrooke

Je me suis retrouvée isolée, à deux heures et demie de route de chez moi, loin de mon conjoint, à un moment où j’étais épuisée, vulnérable, et que j’avais besoin de soutien moral. Le plus dur a été de me séparer de mon fils de deux ans et demi, sans pouvoir le voir pendant presque un mois.

Marie-Hélène Arcand-Lépine, mère d’un bébé prématuré de L’Île-Perrot qui a dû être hospitalisée pendant trois semaines à Sherbrooke

Selon les données officielles publiées par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), le Québec a enregistré en juin dernier 7400 naissances, soit 600 nouveau-nés de plus qu’en juin 2020. Il faut remonter à 2013 pour trouver un nombre aussi élevé de naissances au mois de juin. Une légère augmentation de 200 naissances avait aussi été constatée en mai par rapport au même mois en 2020.

Tout indique que la tendance à la hausse s’est maintenue au cours de l’été, affirme le DMarc Beltempo, néonatologiste et épidémiologiste à la faculté de médecine de l’Université McGill.

En se basant sur des données qu’il a obtenues auprès d’hôpitaux, il estime que le Québec a enregistré entre 1000 et 1500 naissances de plus que la normale pendant la période de mai à août. Le ministère de la Santé et des Services sociaux confirme à La Presse, sur la base d’« informations rapportées du terrain », qu’« une augmentation d’activité en obstétrique » a été constatée pendant cette période.

« On peut dire qu’il y a une augmentation marquée du nombre de naissances depuis le mois de mai 2021, comparé à la même période l’année dernière, analyse le DBeltempo. Comme on avait vu une diminution du nombre de naissances dans l’année 2020, [il pourrait s’agir] d’un rattrapage des gens qui avaient suspendu leur plan de famille, ou d’une augmentation qui va persister. Cela reste à voir. »

Des bébés qui « ne peuvent être transférés »

Si ce « baby boom » inattendu est une bonne nouvelle en soi, il est aussi en partie la cause de ruptures de services dans plusieurs unités de néonatalogie au Québec. « Plus il y a de naissances, plus il y a de prématurés, plus il y en a qui se retrouvent dans les unités néonatales », résume le DMarc Lebel, président de l’Association des pédiatres du Québec. « Mais à cause du manque de personnel, on n’arrive pas toujours à les transférer dans des unités secondaires lorsqu’ils vont mieux. Donc les unités néonatales sont prises avec des bébés qui ne peuvent pas être transférés », ajoute-t-il.

C’est précisément le scénario vécu par Marie-Hélène Arcand-Lépine après son accouchement prématuré en juillet. Dans les jours qui ont suivi, le bébé était suffisamment en forme pour être transféré des soins intensifs de Sherbrooke vers Montréal, mais les unités intermédiaires de la région étaient toutes pleines. « On a essayé à Saint-Jean-sur-Richelieu, Châteauguay, Laval, Longueuil, tout ce qui était à moins d’une heure de chez nous était plein. Je gossais le personnel tous les jours. Eux non plus, ça ne faisait pas leur affaire de nous garder là, parce qu’on bloquait un lit pour des cas plus critiques », explique Mme Arcand-Lépine. Le bébé a fini par être transféré à l’hôpital de LaSalle, où la maman a constaté qu’il y avait « trois ou quatre lits vides » faute de personnel pour y soigner plus de bébés.

Cassandre Macleod, une mère de 22 ans de Saint-Jérôme, dans les Laurentides, a vécu une situation semblable. Son fils Jacob est né après 25 semaines de gestation, alors qu’elle se trouvait en vacances dans la région de Québec. Quand le bébé a finalement pu être transféré, aucun hôpital des Laurentides ou de la région montréalaise n’avait de place pour l’accueillir immédiatement.

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Xavier Boudreau, Cassandre Macleod et leur bébé né à 25 semaines

On a dû attendre deux ou trois semaines avant que ce soit possible. Mon conjoint et moi avons dû faire plusieurs allers-retours entre Saint-Jérôme et Québec. Ça nous prenait de l’énergie qu’on n’avait pas, c’était très difficile mentalement.

Cassandre Macleod, résidante de Saint-Jérôme dont le bébé a été hospitalisé à Québec

L’organisme Préma-Québec, qui a pour mission d’améliorer la qualité de vie des enfants prématurés, réclame une sorte de statut juridique pour les bébés prématurés, qui leur reconnaîtrait le droit d’être soignés plus près de chez eux. « Ce sont des petits patients extrêmement vulnérables, mais on continue de faire comme si ce n’était pas grave qu’ils se retrouvent à des centaines de kilomètres de leur famille », déplore sa directrice générale, Ginette Mantha.

Vagues de « virus d’hiver » en avance

Parallèlement, bien que la COVID-19 provoque très peu d’hospitalisations chez les enfants, plusieurs unités de soins pédiatriques au Québec sont confrontées depuis quelques semaines à une vague hâtive d’infections respiratoires qui apparaissent normalement plus tard en hiver. « On a présentement 20 cas de bronchiolite à Sainte-Justine, dont cinq qui sont traités aux soins intensifs, illustre le DLebel. Ce sont des virus d’hiver, mais probablement à cause du déconfinement et au fait que les enfants n’y ont pas été exposés l’an passé, ils frappent plus tôt cette année. »

Le DLebel souligne que beaucoup d’autres « effets secondaires du confinement » provoquent des effets de cascade semblables sur l’ensemble des soins néonataux et pédiatriques de la province. « En juin, à l’hôpital Sainte-Justine, 40 % des consultations étaient pour des troubles alimentaires et des problèmes de santé mentale. C’est du jamais-vu », illustre-t-il.

Avec le manque criant de personnel dans presque tous les départements, la situation risque d’empirer au mois d’octobre, craint-il. « Il va falloir, d’une façon ou d’une autre, trouver des solutions, parce qu’une naissance, c’est une urgence. On ne peut pas mettre un bouchon et dire à la mère d’attendre que ça passe », lance le médecin.

18 % : Proportion des Canadiens âgés de 25 à 44 ans qui affirment vouloir repousser à plus tard leur projet d’avoir un enfant en raison de la pandémie.

4 % : Proportion des 35-44 ans qui veulent un plus grand nombre d’enfants qu’avant la pandémie.

Source : Statistique Canada