La consommation d’alcool par la mère affecterait le fœtus dès la conception, selon une nouvelle étude montréalaise. Ces travaux sur les souris remettent en question l’innocuité de l’alcool au cours des sept jours suivant la conception, soit avant la nidation de l’ovule fécondé.

Tout ou rien

L’auteur principal de l’étude, Serge McGraw, du CHU Sainte-Justine, voulait évaluer la théorie rassurante voulant que si l’ovule fécondé est affecté par l’alcool alors qu’il flotte toujours librement dans l’utérus, il y aura un avortement spontané. En conséquence, s’il y a nidation dans la muqueuse de l’utérus, cela signifie que le fœtus ne serait pas affecté. « Nous montrons que chez la souris, ce n’est pas le cas, dit le biochimiste montréalais. Il y a des modifications épigénétiques dans les cellules du cerveau, une modification de l’expression des gènes. Ces changements ne seront pas détectables dans le sang ou la peau, donc on ne pourra pas faire de tests chez les enfants. » La quantité d’alcool donnée aux souris correspondait à un « binge », soit plus de cinq consommations dans une soirée pour un humain.

PHOTO FOURNIE PAR LE CHU SAINTE-JUSTINE

Serge McGraw, chercheur au CHU Sainte-Justine

L’alcool et la grossesse en chiffres

10 % à 15 %

Proportion de Canadiennes qui boivent de l’alcool durant la grossesse

25 % à 35 %

Proportion de Françaises qui boivent de l’alcool durant la grossesse

Source : Lancet Global Health, statistiques de 2012

Diagnostic difficile

Les travaux de M. McGraw portent sur les troubles du spectre de l’alcoolisme fœtal (TSAF) et non sur le syndrome d’alcoolisme fœtal (SAF), beaucoup plus grave et souvent associé à des caractéristiques morphologiques du visage particulières. « Le TSAF est diagnostiqué plus tard et difficilement, dit le chercheur de Sainte-Justine. On fait beaucoup de tests biologiques et cognitifs. » Dans une prochaine étude, M. McGraw et son équipe vont évaluer l’ampleur des modifications cognitives et comportementales des souris exposées à l’alcool juste après la conception. « On sait déjà que ce ne sont pas tous les souriceaux qui sont affectés, dit-il. Chez l’humain, des études ont montré que l’alimentation influence l’impact de l’alcool sur le fœtus. Il y a probablement aussi des facteurs génétiques de vulnérabilité. » M. McGraw souligne qu’il est important de diagnostiquer le plus tôt possible le TSAF, pour aider ces enfants.

L’alcoolisme fœtal en chiffres

1,5 sur 1000

Nombre de bébés dans le monde qui souffrent du syndrome d’alcoolisme fœtal (SAF)

11 à 50

Nombre de bébés, sur 1000, aux États-Unis qui souffrent de troubles du spectre de l’alcoolisme fœtal (TSAF)

41 %

Proportion d’enfants ayant un diagnostic de TSAF qui n’ont pas de caractéristiques physiologiques

Sources : Lancet Global Health, JAMA

Avortements spontanés

Une limitation importante de l’étude est qu’il y a beaucoup moins d’avortements spontanés chez la souris que chez l’humain. « Il n’y avait pas de différence dans le nombre de souriceaux des portées dans notre expérience, dit M. McGraw. Chez la femme, on estime que de 10 à 15 % des grossesses mènent à des avortements spontanés. »

Consommation des pères

La prochaine étape dans les travaux sur l’alcool et la grossesse portera aussi sur la consommation des pères. « Il y a des études animales qui montrent des impacts épigénétiques sur le spermatozoïde et sur l’ovule fécondé, dit M. McGraw. Il semble aussi y avoir plus d’avortements spontanés chez l’humain quand les pères consomment de l’alcool au moment de la conception. Mais c’est lié à une consommation chronique, parce qu’il y a des millions de spermatozoïdes. Il faut 74 jours pour que le stock de spermatozoïdes se renouvelle. »