(Montréal) Qui se soucie de mettre au point des inventions pour améliorer la santé des femmes ? Plus les femmes elles-mêmes que les hommes. Voilà l’une des conclusions des travaux d’un groupe de chercheurs après avoir examiné les registres des brevets biomédicaux accordés aux États-Unis sur près de 35 ans. Sauf que leurs données ont aussi montré que les femmes sont bien moins nombreuses que leurs collègues masculins à détenir des brevets.

Et comme ceux-ci innovent plus pour régler des problèmes de santé de la gent masculine, celle des femmes, elle, est négligée.

Seulement 25 % des détenteurs et codétenteurs de brevets enregistrés aux États-Unis pour des médicaments ou des instruments chirurgicaux sont des femmes, est-il rappelé dans l’étude récemment publiée dans la revue Science.

Mais quand des équipes de femmes mettent au point des inventions, elles sont 35 % plus susceptibles de bénéficier à la santé des femmes que celles créées par des équipes masculines, a expliqué en entrevue l’un des auteurs de l’étude, le professeur en comportement organisationnel de la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, John-Paul Ferguson.

Les brevets des femmes s’attaquent plus souvent à des conditions spécifiques à leur sexe comme le cancer du sein, la prééclampsie postpartum (une hypertension accompagnée d’un mauvais fonctionnement des organes), ainsi que des maladies qui affectent beaucoup plus souvent les femmes comme le lupus.

Mais aussi, les inventrices sont plus susceptibles d’identifier comment les traitements pour des problèmes touchant les deux sexes — comme les crises cardiaques et le diabète — peuvent être adaptés aux besoins des femmes. Elles sont aussi plus portées à tester si leurs inventions, comme un médicament, produisent des effets différents selon le sexe du patient.

Ce qui fait dire au professeur Ferguson que toute la société a avantage à ce qu’il y ait plus de femmes qui mettent en marché leurs inventions.

De savoir que la santé des femmes est négligée en recherche n’est toutefois pas nouveau, souligne-t-il.

S’il y a des barrières bien connues limitant la présence de femmes dans les domaines des sciences et des technologies, les conséquences vont bien au-delà de ce constat.

L’une d’elles a ainsi été mise en lumière par son projet de recherche mené avec ses collègues Rembrand Koning, de l’Université Harvard, et Sampsa Samila, de l’Universidad de Navarra en Espagne : ils ont voulu quantifier de façon objective les conséquences du fossé de l’innovation biomédicale en examinant tous les brevets octroyés entre 1976 et 2010 par le Bureau des brevets et des marques de commerce des États-Unis.

Afin de déterminer quelles inventions aident à régler des problèmes de santé des hommes, des femmes, ou des deux sexes à la fois, les chercheurs se sont notamment servi de l’intelligence artificielle pour analyser plus de 400 000 brevets.

Leur conclusion ? Les inventions biomédicales au cours de la période de 35 ans sous étude ont porté beaucoup plus sur les besoins de santé des hommes que des femmes.

« Ce manque d’attention a fait du tort aux femmes », estime le chercheur qui juge « choquant » comment certaines conditions, pourtant très répandues comme l’endométriose, ont été ignorées par la recherche.

Mais tout n’est pas sombre, s’empresse-t-il d’ajouter : il relève que le nombre de brevets biomédicaux enregistré au nom de femmes est passé de 6,3 % à 16,2 % au cours des trois dernières décennies.

« Il y a un réel progrès dans la part des inventions biomédicales qui revient aux femmes et aussi dans la proportion des inventions qui ciblent la santé des femmes. »

Si un changement dans les attitudes des hommes par rapport aux axes de recherche « peut expliquer en partie » cette hausse des inventions portant sur la santé des femmes, une plus grande partie est attribuable « à la plus grande présence des femmes dans le domaine », souligne-t-il.

Les hommes inventent aussi pour la santé des femmes, note M. Ferguson, mais moins souvent.

Il soutient que dans le secteur de l’innovation, « une représentation plus diverse est importante pour obtenir un ensemble plus diversifié d’inventions ».

Malheureusement, dit-il, la « discrimination sociétale » a bloqué beaucoup de bonnes idées.

Son collègue Rembrand Koning a même dit que leurs calculs suggèrent que si les hommes et les femmes inventeurs avaient été autant représentés durant la période sous étude, « quelque 6500 inventions sur la santé des femmes auraient vu le jour ».

Le but de ces travaux est de trouver des solutions. Il est crucial de sensibiliser les inventeurs masculins à se pencher sur la santé des femmes, mais, selon le professeur Ferguson, cette autre piste aura plus d’impact : une réelle diversité dans le bassin d’inventeurs.