(Montréal) Dans ce qui pourrait bien être une première au Canada, une équipe du CHU Sainte-Justine a eu recours à une « chimiothérapie chauffée » pour attaquer le cancer d’un petit garçon de trois ans et demi chez qui la maladie était de retour pour une quatrième fois.

« Clairement on était face à une situation qui nécessitait un peu plus de réflexion, et peut-être même d’utiliser des approches différentes et complémentaires », a expliqué en primeur à La Presse Canadienne le chirurgien pédiatrique Nelson Piché.

L’enfant, que nous appellerons Rémi, avait reçu un diagnostic de sarcome, une forme de cancer qui prend naissance dans les tissus mous du corps. Il avait déjà été opéré à trois reprises pour retirer le cancer qui envahissait son abdomen.

Quand la maladie est revenue en force, le docteur Piché et ses collègues ont décidé de se tourner vers la chimiothérapie chauffée. Si elle est de plus en plus répandue, la technique n’avait apparemment jamais été utilisée auparavant chez un patient aussi jeune au Canada.

Lors de l’intervention chirurgicale du 18 juin, qui a duré quatre heures, les médecins ont tout d’abord enlevé tout le cancer qu’ils voyaient ; le problème, et c’est ce qui semble s’être produit avec Rémi, est qu’il est rarement possible d’avoir la certitude d’avoir retiré la totalité du cancer, et que la maladie ne sera pas de retour dans quelques mois.

Entre alors en jeu la chimiothérapie chauffée.

Avantages

« C’est comme si cette chimio-là venait pénétrer dans toutes les petites cellules à la surface de tout ce qui se trouve dans le ventre pour que, si jamais il y a des cellules cancéreuses, qu’elles puissent être éliminées par la chimiothérapie », a expliqué le docteur Piché.

Après avoir été chauffée à environ 41 degrés Celsius, la chimiothérapie, au lieu d’être injectée dans les veines comme lors d’un traitement normal, circule pendant une heure sur la surface de tous les organes de la cavité abdominale qui « pourraient être le siège d’une ou d’une petite colonie de cellules cancéreuses qui risquent de refaire des métastases dans le futur », a-t-il ajouté.

La chimiothérapie entre dans l’abdomen par deux tubes et en ressort par deux autres, ce qui permet d’assurer qu’elle est toujours correctement chauffée et qu’elle passe sur toutes les surfaces des organes.

Parce qu’il est chauffé, le liquide pénètre à une profondeur de 2 à 2,5 mm dans les tissus, au lieu de seulement 1 ou 1,5 mm. Une différence d’à peine un millimètre peut paraître infime, mais elle revêt une importance capitale quand vient le temps de rejoindre et de détruire le plus grand nombre possible de cellules cancéreuses.

« L’avantage de mettre la chimiothérapie dans le ventre, et non pas dans les veines, est que ça va directement là où on pense que le risque de récidives est le plus élevé, a dit le docteur Piché. On espère qu’en ayant traité localement, avec de très hautes concentrations de chimiothérapie chauffée dans son ventre, qu’on puisse diminuer le risque de récidive. »

La technique permet d’utiliser des doses de chimiothérapie incroyablement plus puissantes que ce qui serait autrement injecté. Elle permet aussi d’éviter — ou à tout le moins de diminuer l’intensité de — la plupart des effets secondaires indésirables bien connus associés à la chimiothérapie.

Le mécanisme qui donne son efficacité à la chimiothérapie chauffée n’est pas très bien compris, mais le docteur Piché propose une analogie intéressante.

« Quand on veut augmenter la perméabilité de la peau, quand on veut ouvrir les pores de la peau, on met des compresses chaudes et ça permet de pénétrer un peu plus, a-t-il dit. Je vous dirais que c’est un peu le même principe. »

Astres alignés

La chimiothérapie chauffée, si elle reste nouvelle, est utilisée de plus en plus couramment au Canada, aux États-Unis et ailleurs. À Montréal, le docteur Pierre Dubé, de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, l’utilise régulièrement et fait figure de pionnier en la matière ; c’est notamment sous sa tutelle que le docteur Piché a fait ses classes.

Lors de l’intervention de Rémi, le docteur Piché a utilisé de l’équipement prêté par Maisonneuve-Rosemont et il a pu compter sur la collaboration d’une chirurgienne américaine qui est probablement la plus expérimentée de la planète dans ce domaine.

Il a quand même fallu attendre un alignement parfait des astres avant d’opérer un premier enfant.

« Ça faisait sept ans qu’on était prêts, mais c’était la première fois qu’un patient rencontrait tous les critères : une tumeur pour laquelle on sait qu’il y a une chimiothérapie qu’on peut chauffer et qu’on sait qui est efficace […] et il ne faut pas que la tumeur soit allée ailleurs dans le corps », a expliqué le docteur Piché.

Même si le cancer représente la deuxième cause de décès pédiatriques après les traumatismes, les tumeurs pédiatriques restent (heureusement) rares. Par exemple, on recense chaque année aux États-Unis environ 750 cas de neuroblastome, un cancer qui prend naissance dans les cellules nerveuses immatures du système nerveux sympathique, mais plus de 100 000 cas de cancer du colon ou du sein.

Les occasions d’utiliser la chimiothérapie chauffée en pédiatrie sont donc moins fréquentes, d’autant plus que la technique n’est pas appropriée pour tous les types de cancer et ne peut être utilisée que pour une « sous-catégorie de tumeurs encore moins fréquente », a souligné le docteur Piché.

En pleine forme

Rémi est actuellement en pleine forme et se remet très bien de son opération.

Il a quand même encore un long chemin devant lui. Il continuera à être traité en oncologie à Sainte-Justine, aussi bien avec une chimiothérapie conventionnelle qu’avec une thérapie développée sur mesure pour lui, et il subira plusieurs tests pour s’assurer que le cancer n’essaie pas sournoisement de se réinstaller. On a aussi mis sur pied un protocole de recherche dont il est le seul participant.

Si jamais cela devait être nécessaire, une nouvelle intervention avec de la chimiothérapie chauffée sera possible, assure le docteur Piché.

« De l’avoir fait, c’est certain que ça va faciliter pour le futur l’utilisation de cette technique-là pour d’autres patients, a-t-il dit. Il faut quand même choisir nos patients de façon très sélective. Ce n’est pas parce qu’on est capables de le faire qu’on doit le faire à toutes les sauces. »

Mais même si probablement peu d’enfants, en nombre absolu, vont bénéficier de cette approche dans les années à venir, a-t-il souligné dans un courriel subséquent, « ce qui est important c’est que nous avons maintenant la capacité d’offrir un traitement innovateur et qui a prouvé son efficacité chez les adultes pour ces enfants qui font face à une situation pour laquelle les méthodes actuelles ont échoué (ou sont à risque d’échec) ».

« Autrement dit, même si le nombre est faible, la valeur est immense pour ceux qui peuvent en bénéficier », a écrit le docteur Piché.