Manquer de pilules au moment où on en a le plus besoin : voilà ce que souhaite éviter le gouvernement du Québec en investissant 13 millions de dollars en deux ans dans un programme appelé Médicament Québec. La Presse a interrogé plusieurs experts pour décortiquer les dessous de ce nouveau projet.

Médicament Québec, qu’est-ce que c’est ?

C’est un programme de recherche pour découvrir de nouveaux médicaments chapeauté par l’Université de Montréal (UdeM), en collaboration avec quatre universités québécoises et le secteur pharmaceutique privé. Son but est aussi de produire des ingrédients actifs, soit les substances qui rendent les médicaments efficaces, puis de les transformer en comprimés accessibles pour tout le monde.

« La COVID-19 a mis les chaînes d’approvisionnement mondiales à rude épreuve », a rappelé Eric Girard, ministre des Finances et nouveau ministre de l’Économie et de l’Innovation. « Médicament Québec va augmenter notre autonomie », a-t-il soutenu lors d’une conférence de presse tenue jeudi.

Des médicaments seront-ils produits au Québec ?

Oui. Médicament Québec prévoit de produire à petite échelle des ingrédients actifs puis de les synthétiser, précise le DDaniel Lévesque, membre du conseil exécutif du projet, en entrevue avec La Presse. Il est aussi vice-doyen à la recherche et aux études en sciences pharmaceutiques de l’UdeM.

Ces ingrédients sont cruciaux pour éviter des pénuries et des interruptions dans les chaînes d’approvisionnement. « On est presque entièrement dépendants des pays internationaux en ingrédients actifs, dénonce Bertrand Bolduc, président de l’Ordre des pharmaciens du Québec. C’est important d’avoir une certaine capacité de production ici pour certains ingrédients », croit-il. Le problème ne date pas d’hier, puisque ça fait une douzaine d’années que les pharmaciens du Québec doivent gérer des ruptures de stock en matière de médicaments, rappelle le président.

Dans une phase ultérieure, le projet pourrait viser la production à plus large échelle de médicaments locaux.

Quelle sera la technologie utilisée ?

Une technologie novatrice, appelée synthèse en flux continu, permettra au processus de fabrication d’ingrédients actifs de se faire de façon plus stable et efficace. Cette technologie n’est pas encore implantée en milieu industriel, mais pourrait l’être grâce à l’accompagnement de Médicament Québec.

L’Institut de recherche en intelligence artificielle Mila, à Montréal, s’est aussi associé au projet pour favoriser l’innovation et la recherche de nouveaux médicaments.

Quel sera le rôle des sociétés pharmaceutiques ?

Deux sociétés pharmaceutiques privées sont associées au projet : Pharmascience et Valence Discovery. Québec espère en attirer d’autres. Cette interaction entre le secteur public et privé inquiète certains experts. « On [risque de] faire de la recherche au public, et ensuite de transférer le tout au privé, explique Marc-André Gagnon, professeur de politiques publiques et d'administration à l’Université de Carleton. Éventuellement, les grandes sociétés [risquent de] nous revendre le même produit, mais à un prix inabordable, ce qui ferait en sorte que les Canadiens n’auraient pas accès à cette découverte », craint-il.

Médicament Québec indique être en réflexion sur ces questions. « On ne voudrait pas que l’innovation qu’on fait en milieu académique permette d’enrichir une société ou deux qui profiteraient de la situation », affirme le DLévesque, de l’UdeM. Des processus de brevetage et d’homologation sont actuellement discutés au sein de Médicament Québec.

Le projet permettra-t-il aux Québécois de payer moins pour leurs médicaments ?

La fabrication locale de médicaments ne les rendra pas moins coûteux, avertit le DLévesque. « Il n’y aura jamais de coûts réduits, parce que si c’est produit à petite échelle, ça va être plus cher », prévient-il. Par contre, l’autonomie permettra à la province d’être réactive s’il y a des pénuries à l’échelle mondiale. « Notre but, à Médicament Québec, c’est de générer des connaissances, pas de faire des sous », rappelle le DLévesque.