(Ottawa) La réforme proposée de la loi fédérale sur l’aide médicale à mourir suscite l’ire de l’Association des psychiatres du Canada en raison de son rejet explicite de la maladie mentale comme motif pour mettre fin aux souffrances d’un patient.

Le gouvernement fédéral fait valoir que cette interdiction existe déjà dans la loi sous sa forme actuelle. En fait, un petit nombre de Canadiens qui souffraient uniquement de troubles mentaux graves et irrémédiables ont déjà pu recevoir l’aide médicale à mourir.

Le gouvernement propose maintenant d’exclure expressément ces personnes, alors qu’il modifie la loi pour élargir l’accès à l’aide médicale à mourir.

Des psychiatres signalent que cela stigmatise les personnes avec des problèmes de santé mentale, minimise leurs souffrances et renforce le mythe selon lequel elles pourraient guérir si elles faisaient simplement plus d’efforts.

Ils avancent que cette exclusion viole l’article 15 de la Charte des droits et libertés, qui garantit l’égalité de traitement en vertu de la loi indépendamment de la déficience physique ou mentale.

Selon le projet de loi C-7, une maladie mentale « ne sera pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap ».

« Une disposition qui ne s’applique qu’à des personnes atteintes de maladie mentale, sans justification appropriée, est de nature discriminatoire parce qu’elle est arbitraire. Une disposition qui s’applique à toutes les personnes atteintes de maladie mentale, sans justification appropriée, est inconstitutionnelle parce qu’elle a une portée excessive », décrie l’Association des psychiatres dans un mémoire déposé au comité de la justice de la Chambre des communes.

Le projet de loi fait suite à une décision rendue par la Cour supérieure du Québec, en septembre 2019, qui a invalidé le critère qui permettait uniquement à ceux dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible de demander l’aide médicale à mourir.

Ce faisant, la juge Christine Baudouin en a ouvert l’accès à un plus grand nombre de personnes, comme Jean Truchon et Nicole Gladu, ces deux Québécois atteints de graves maladies dégénératives incurables, qui ont mené cette bataille juridique.

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Nicole Gladu et Jean Truchon en compagnie de leur avocat Me Jean-Pierre Ménard lors d'une conférence de presse, le 12 septembre 2019

Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a laissé entendre que, jusque là, la disposition relative à la mort prévisible excluait les personnes souffrant uniquement de maladie mentale. Et un énoncé de son ministère sur le projet de loi indique que celui-ci « continuerait d’interdire l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué ».

Cette affirmation indigne le psychiatre vancouvérois Derryck Smith, qui a personnellement été impliqué dans deux cas où des patients souffrant uniquement de troubles mentaux graves ont pu mettre fin à leurs jours. Et il dit connaître d’autres cas similaires.

L’un des cas dans lesquels il a été impliqué concernait une femme dans la quarantaine souffrant d’un « trouble alimentaire grave et insurmontable » et qui avait l’intention de se laisser mourir de faim si elle ne recevait pas d’aide médicale pour en finir.

L’énoncé du ministère de la Justice reconnaît que l’exclusion « est susceptible » de violer des droits garantis par la Charte. Mais il fait valoir qu’il s’agit d’une limite raisonnablement justifiable à ces droits d’après « les risques inhérents et la complexité que comporterait la possibilité d’obtenir l’aide médicale à mourir pour les personnes qui souffrent uniquement d’une maladie mentale ».

Comme M. Lametti l’a soutenu devant la Chambre des communes le mois dernier, ces risques comprennent le fait que l’évolution de la maladie mentale est généralement plus difficile à prévoir, qu’une amélioration soudaine est possible et qu’un désir de mourir et une perception altérée de sa personne et de sa situation constituent en soi des symptômes de certaines maladies mentales.

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Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti

Or, ces risques concernent tout autant les personnes souffrant de troubles physiques sévères, relève la psychiatre montréalaise Mona Gupta, qui a corédigé un rapport à paraître sur la question pour l’Association des médecins psychiatres du Québec.

L’évolution de certaines maladies physiques peut être imprévisible. Les personnes affligées physiquement peuvent spontanément prendre du mieux ou devenir suicidaires. Leur capacité décisionnelle peut être en jeu. Les médecins soupèsent ces facteurs pour déterminer si un patient est admissible à l’aide médicale à mourir.

Mais le projet de loi C-7 refuse à toutes les personnes atteintes de maladie mentale la possibilité même d’être évaluées, déplore la docteure Gupta.

Si une personne atteinte de trouble bipolaire et d’insuffisance rénale est considérée comme ayant la capacité de prendre une telle décision, la docteure Gupta s’explique mal pourquoi une personne atteinte uniquement de trouble bipolaire ne l’est pas.