Dans un geste qui fait sourciller tant le lobby antitabac que l'Association québécoise des vapoteries, le fabricant de cigarettes électroniques JUUL Labs exhorte Québec à interdire aux moins de 21 ans la vente de produits de vapotage. 

L'entreprise, qui détient 70 % des parts du marché des cigarettes électroniques à cartouches échangeables, fait cette demande dans le cadre du projet de loi 2 du gouvernement Legault visant à interdire la vente de cannabis aux moins de 21 ans. 

Alors qu'elle est elle-même dans la ligne de mire de la Food and Drug Administration aux États-Unis pour des pratiques alléguées de marketing agressif visant les jeunes, JUUL dit vouloir par cette démarche « limiter la possibilité pour les jeunes d'essayer les produits de vapotage ». 

JUUL a embauché un lobbyiste pour la représenter sur la colline Parlementaire à Québec dans le cadre de ce projet de loi, mais refuse de nous accorder une entrevue au téléphone à ce sujet, se contentant d'une déclaration envoyée par courriel : « JUUL Labs ne fait pas partie de l'industrie du cannabis et n'a aucune intention d'en faire partie, mais nous trouvons que les discussions concernant le projet de loi 2 [...] offrent une excellente opportunité pour que le gouvernement instaure les mêmes exigences pour les produits de vapotage. »

Juul s'est donné pour mission de « fournir au milliard de fumeurs adultes dans le monde une véritable alternative aux cigarettes combustibles ». Elle tente notamment de convaincre Ottawa de la reconnaître dans le cadre du programme de cessation du tabagisme fédéral jetelaisse.ca, révèle une entrée récente dans le registre du Commissariat au lobbying du Canada. 

Mais en même temps, JUUL est aussi vivement critiquée pour avoir développé, breveté et popularisé des produits à base de « sels de nicotine », formulés pour être plus doux pour la gorge. Les chercheurs Robert K. Jackler et Divya Ramamurthi, de l'Université Stanford, soutiennent que l'apparition des sels de nicotine de JUUL a déclenché une « course aux armements » (nicotine arms race) dans l'industrie du vapotage, faisant passer les concentrations de nicotine des e-liquides à 5 %, 6 %, voire 7 %, alors que ce taux était de 1 à 2 % avant l'apparition de JUUL. 

« Avoir l'air d'un ange protecteur »

« JUUL veut maintenant se donner bonne conscience. Après avoir autant poussé sur des produits fortement nicotinés qu'elle distribue dans les dépanneurs sans donner la moindre formation aux caissiers, elle veut avoir l'air d'un ange protecteur. Il y a un non-sens dans son approche », affirme Vincent Gagnon, propriétaire d'un commerce de vapotage au Saguenay et membre fondateur de l'Association québécoise des vapoteries. 

Cette association, qui conteste en cour les dispositions de la loi québécoise interdisant le marketing entourant les produits de vapotage, s'oppose à ce que l'âge légal pour vapoter soit repoussé à 21 ans. « On permettrait aux jeunes de 18 ans de fumer la cigarette, mais on leur interdirait l'accès à un produit qui pourrait les aider à arrêter. Ça ne tient pas la route », dit M. Gagnon. 

La sortie de JUUL a aussi été accueillie avec perplexité par la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, qui y voit une tentative d'« amadouer le législateur québécois » pour éviter l'adoption de mesures encore plus sévères encadrant le vapotage.