Le vote conservateur a-t-il été plombé au Québec par les convictions pro-vie d’Andrew Scheer ? Poser la question, c’est découvrir que les opinions sur l’avortement ne sont pas si différentes au Québec et dans le reste du pays. Un tabou québécois à propos de l’« ambivalence » envers l’avortement semble répondre au tabou canadien-anglais au sujet du malaise face à l’immigration.

Le vote conservateur

André Blais, politologue à l’Université de Montréal, ne croit pas que la position d’Andrew Scheer sur l’avortement explique la faiblesse du vote conservateur au Québec. « Je ne crois pas, dit M. Blais. Il y a beaucoup de Québécois qui, sans être des militants pro-vie, sans vouloir rouvrir le débat législatif, ont une ambivalence envers l’avortement. Mais ils ne peuvent pas exprimer publiquement cette ambivalence. » Peut-on faire une comparaison avec le turban de Jagmeet Singh, qui a fait l’objet de discussions surtout au Québec, alors que plus de 40 % des Canadiens des autres provinces sont en faveur de mesures semblables à celles de la loi 21 ? « Oui, on peut dire que ce sont des tabous similaires », affirme M. Blais. Shachi Kurl, de la maison de sondages Angus Reid, confirme que les différences d’opinions sur l’avortement entre le Québec et le reste du Canada ne sont pas très importantes.

Mythes et tabous

L’inconfort envers les signes religieux visibles et l’immigration existe au Canada, dans une proportion supérieure au Québec, pour ce qui est de l’immigration. Mais il est très difficile d’en faire état parce que cela compromet l’un des « mythes nationaux » du Canada, selon la politologue Kim Speers, de l’Université de Victoria, soit l’idée que le Canada est différent des États-Unis notamment parce que le racisme n’y existe pas. « Je vois en effet un parallèle avec la nécessité pour les Québécois de préserver l’image de progressisme du Québec, dit Mme Speers. On ne doit pas parler de ce qui compromet cette image progressiste, notamment l’inconfort devant l’avortement. Je connais bien le vieux fond catholique du Québec, une branche de ma famille s’appelle Charbonneau. » Pauline Beange, politologue à l’Université de Toronto, souscrit elle aussi à l’idée que des tabous entourent le malaise face à l’avortement au Québec et face à l’immigration au Canada anglais.

Les sondages

Les sondages divergent d’opinions sur les différences régionales à propos de l’avortement (tous notent toutefois un sentiment pro-vie plus fort dans les Maritimes). En général, environ la moitié des Québécois ne veulent aucune restriction à l’avortement, contre 35 % à 40 % des Canadiens des provinces plus à l’ouest, selon Shachi Kurl, d’Angus Reid. La maison de sondages Research Co de Vancouver a des données similaires. Mais en 2017, un sondage Ipsos n’avait pas trouvé de différence entre le Québec et les provinces plus à l’ouest. « Ça dépend beaucoup de la question, dit Pauline Beange. Si on évoque l’avortement sélectif selon le sexe, l’avortement au troisième trimestre ou l’implication du père, on a des résultats différents. »

L’avortement chez les pro-vie

Patricia LaRue, directrice de la Clinique des femmes de l’Outaouais, n’est pas surprise des sondages montrant que le Québec n’est pas très différent des autres provinces en ce qui concerne le sentiment pro-choix. « On a beaucoup de femmes qui viennent pour elles ou leur fille et qui disent : “Vous savez, je suis contre l’avortement, mais j’en ai vraiment besoin.” On va leur offrir le même respect, la même chaleur. » Cela dit, Mme LaRue note que la moitié des endroits offrant des avortements au Canada sont situés au Québec, parce que c’est la seule province où chaque région administrative doit avoir un point de service. « Et on a très peu de manifestants anti-choix. » Christabelle Sethna, historienne du féminisme à l’Université d’Ottawa, note que le Québec est le « berceau » du féminisme grâce au DHenry Morgentaler, mais que les autorités provinciales l’ont souvent poursuivi.

Les emplois d’été

En 2018, une controverse sur l’obligation de profession de foi pro-choix pour des ONG désirant avoir des subventions pour des emplois d’été avait fait couler beaucoup d’encre au Canada anglais, mais bien peu au Québec. Angus Reid avait même fait un sondage sur le sujet, qui montrait que seulement 29 % des Québécois avaient entendu parler de la controverse, contre 45 % à 55 % des Canadiens des autres provinces.

En chiffres

37 % des Québécois et 37 % des Canadiens pensent qu’un organisme pro-vie devrait pouvoir avoir des subventions pour engager des étudiants distribuant des pamphlets.

64 % des Québécois et 73 % des Canadiens pensent qu’un groupe religieux opposé à l’avortement devrait pouvoir avoir des subventions pour engager des étudiants pour servir des repas aux sans-abri.

Source : Angus Reid