Le nouveau Centre universitaire de santé McGill (CUSM) a coûté 934 millions de trop, à cause de la fraude pour laquelle Yanaï Elbaz, ancien directeur général adjoint de l'établissement, a plaidé coupable lundi.

Il sera impossible d'être dédommagé pour une telle somme, mais l'avocat du CUSM demande que l'hôpital puisse au moins mettre la main sur des actifs de 6 millions appartenant à l'ancien administrateur, gelés par ordre de la cour dans des comptes à l'étranger.

Comme il a admis avoir reçu un pot-de-vin de 10 millions de la part de SNC-Lavalin, pour lui assurer l'attribution du contrat de construction, Elbaz « ne devrait pas pouvoir bénéficier de cette somme. C'est la victime de la fraude qui devrait en bénéficier », a souligné Me Alexander De Zordo, qui représente le CUSM.  

L'avocat craint que l'argent disparaisse ou soit redistribué autrement. Il demande donc que l'obligation de rendre cette somme au CUSM fasse partie de la sentence imposée au fraudeur.

Yanaï Elbaz était en cour aujourd'hui afin de savoir si le juge entérinait la peine de 39 mois de prison recommandée conjointement par les avocates de la défense et de la couronne. Mais la sentence ne sera rendue que le 17 décembre, pour laisser le temps au juge Claude Leblond de prendre en considération la demande du CUSM.

Le montant de 934 millions$ représente 20 % du total des coûts du projet de mégahôpital, qui s'élèvent à 4,7 milliards (1,4 milliard pour la construction, et 3,3 milliards pour l'exploitation pendant les 30 années du contrat). Il a été déterminé en vertu des dispositions de la loi 26, adoptée 2015, qui permet la récupération des sommes liées à des contrats obtenus par des manoeuvres frauduleuses. Cette loi prévoit que, pour un organisme public ayant été victime de fraude, le « préjudice présumé » peut atteindre 20 % du montant total du contrat.

L'avocat du CUSM a expliqué par exemple que juste le système d'appel d'offres pour l'attribution du contrat avait coûté 20 millions, mais que ce processus avait été détourné à cause des malversations de l'accusé. « Donc, le montant que nous demandons est juste et raisonnable dans les circonstances, c'est une goutte d'eau considérant les sommes en jeu », a-t-il plaidé.

« Plus grande fraude au Canada »

Un enquêteur de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) avait déclaré à la commission Charbonneau que cette affaire constituait la « plus grande fraude de corruption de l'histoire du Canada », au prorata de la valeur du contrat.

En tout, SNC-Lavalin a versé 22,5 millions en pots-de-vin, séparés entre l'ancien PDG du CUSM, Arthur Porter, et son bras droit Yanaï Elbaz. Arthur Porter est mort du cancer dans une prison au Panama avant d'être jugé.

Riadh Ben Aïssa, un ancien dirigeant de la firme de génie-conseil, a aussi plaidé coupable. Pierre Duhaime, ex-PDG de SNC-Lavalin, doit subir son procès en janvier prochain.

Lors du plaidoyer de culpabilité de Yanaï Elbaz, lundi, un avocat représentant SNC-Lavalin avait aussi réclamé 33,75 millions à l'ancien dirigeant de l'hôpital. Mais il a retiré sa demande aujourd'hui, expliquant qu'il allait plutôt tenter de récupérer cette somme par l'entremise d'une poursuite civile.

Le CUSM poursuivait aussi Elbaz au civil, pour 330 millions. Mais cette poursuite a été suspendue en raison des accusations criminelles. Si le dédommagement était octroyé à l'établissement dans le cadre de la sentence criminelle, cela permettrait de réduire les frais judiciaires et les délais liés à cette affaire, a fait valoir Me De Zordo.

« Et pourquoi le CUSM n'a-t-il pas poursuivi SNC-Lavalin, puisque les 22,5 millions venaient d'eux, et qu'ils ont les moyens de payer des dommages ? », a demandé le juge Leblond.

« Parce que ce sont des partenaires d'affaires pour les 20 prochaines années, étant donné qu'ils ont eu le contrat pour la gestion de l'hôpital », a répondu l'avocat.

Le débat sur cette question devant le tribunal a duré deux heures, puisque le juge estime qu'il faudrait que le montant des dommages puisse être établi plus précisément.

Si une demande de remboursement au CUSM faisait partie de la peine imposée à Yanaï Elbaz, l'accusé pourrait décider de retirer son plaidoyer de culpabilité négocié précédemment, a indiqué l'avocate de la couronne, Claudie Lalonde-Tardif, à sa sortie du tribunal.