La consommation de médicaments spécifiques au trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) augmente encore au Québec. Les sommes versées pour le remboursement des médicaments par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) montent en flèche depuis cinq ans, révèlent les dernières données fournies par la RAMQ.

En 2013, on comptait 34 476 enfants et adolescents ainsi que 23 828 adultes avec ce diagnostic, qui ont réclamé au total 35,5 millions en remboursements à la RAMQ.

En 2017, 41 727 enfants et adolescents ainsi que 50 357 adultes vivaient avec un TDAH, ce qui a engendré 55,8 millions en réclamations, une augmentation importante de 57 %.

Et rien n'indique que cette hausse prendra fin. Pour les six premiers mois de 2018, la RAMQ a déjà remboursé pour 29 millions dollars de médicaments pour le TDAH.

Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux Lionel Carmant se dit très préoccupé par ces statistiques. 

« N'ayant pas d'autres supports actuellement, les médecins ont souvent tendance à se tourner vers la médication. L'accès à l'aide psychologique pourrait éviter la surmédication », affirme-t-il en entrevue à La Presse.

Le ministre Carmant affirme que la hausse, plus marquée chez les 18 ans et plus, est symptomatique des « exigences de société » envers les jeunes adultes. « Quand j'ai commencé ma pratique comme neurologue, on avait tendance à arrêter la médication plus tôt, explique celui qui travaillait au CHU Sainte-Justine avant d'être élu sous la bannière de la Coalition avenir Québec. Aujourd'hui, les jeunes veulent continuer à être très performants, et c'est difficile pour eux d'arrêter la médication. »

Cette augmentation chez les adultes inquiète aussi le neuropsychologue Benoît Hammarrenger. « Il commence définitivement à y avoir du surdiagnostic et de la surmédication chez les adultes. Ça devient presque tendance d'avoir un TDAH et de dire : "J'ai réussi dans la vie malgré mon TDAH" », observe ce spécialiste de la maladie.

« On voit des cas de gens qui gèrent une entreprise avec 100 employés, qui travaillent 75 heures par semaine, puis ils vont oublier une petite chose à gauche et à droite et ils vont dire : ‟C'est parce que j'ai un TDAH." Il y a aussi les limites de notre cerveau. Il y a un point où il est normal d'être inattentif, explique le neuropsychologue. On est rendu à médicaliser le fait d'oublier d'aller chercher une pinte de lait, d'oublier son portefeuille, ou encore de faire un oubli au travail alors que tout le reste est bien fait. »

Pour la moitié des jeunes qui ont un TDAH, le trouble va disparaître à l'âge adulte, puisque le cerveau rattrape son retard de maturation, souligne M. Hammarrenger. 

Ainsi, cette augmentation du nombre d'adultes qui prennent des médicaments pour traiter un TDAH au Québec n'est pas logique avec ce que nous révèle la science, ajoute le neuropsychologue. « Il devrait y avoir une baisse, pas une hausse, chez les adultes », insiste-t-il.

La psychiatre Annick Vincent fait une lecture différente du phénomène. « Le TDAH est reconnu maintenant comme un facteur de risque d'autres problématiques s'il n'est pas traité », explique-t-elle. La médecin explique qu'un TDAH augmente le risque d'accidents de la route, d'accidents en pratiquant un sport, etc. Sur le plan de la santé physique, le TDAH augmente les risques de troubles cardiovasculaires chez l'adulte.

« On sait depuis quelques années que c'est un facteur de risque d'obésité ; également que les gens atteints d'un TDAH ont une sexualité souvent plus précoce, plus de partenaires, plus de grossesses non planifiées, plus d'infections transmissibles sexuellement. Ils ont aussi plus de difficultés financières et de faillites, énumère la Dre Vincent. D'un point de vue relationnel, il y a plus de souffrances dans les familles où un membre a un TDAH que dans la population générale. On a aussi plus de risques de développer de l'anxiété, des problèmes de jeu. »

« Sachant tout ça, nous sommes beaucoup plus interventionnistes en 2018 qu'on l'était il y a 10 ans », conclut la Dre Vincent, qui pratique à la clinique FOCUS, dans la région de Québec, qui est spécialisée dans le TDAH.

MANQUE CRIANT DE RESSOURCES

Au Québec, « on a un manque criant de ressources à la fois pour diagnostiquer le TDAH et le traiter », déplore la Dre Vincent. « Actuellement, beaucoup de nos services psychosociaux sont débordés, sont mal structurés, et le parent d'un enfant ou encore l'adulte qui croit souffrir d'un TDAH ne sait pas à quelle porte aller cogner. Ou s'il cogne à une porte, il se fait répondre que la liste d'attente est fermée ou que la liste d'attente est longue, explique la Dre Vincent. Résultat : l'enfant ou l'adulte ne peut pas recevoir de services au moment où il en a besoin. »

Un constat partagé par le Dr Carmant, qui affirme s'être lancé en politique justement pour implanter une stratégie de dépistage précoce des troubles de développement et d'apprentissage. « Dans le cas du TDAH, plus on intervient tôt, plus on a de chance d'éviter la médication, plaide le nouveau ministre délégué à la Santé. Actuellement, les enfants n'ont pratiquement aucun service au public. Il faut que les parents cognent 10 fois à une porte pour trouver quelqu'un pour les aider. » 

Le Dr Carmant promet que d'ici à la fin de l'année 2020, une équipe d'intervenants en CLSC dépistera les troubles de développement et d'apprentissage des tout-petits de 0 à 5 ans dans toutes les régions du Québec. Il affirme que cette stratégie entraînera une chute draconienne du temps d'attente pour les services rendus au public.

Les Québécois en utilisent davantage que les autres Canadiens

Les Québécois consomment davantage de médicaments spécifiques au TDAH que les autres Canadiens, confirme un portrait publié l'an dernier par l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS). On y apprend que la prévalence de l'usage des médicaments spécifiques au TDAH chez les enfants et les jeunes adultes a atteint 6,4 % au Québec en 2014-2015, alors qu'elle était de 2,4 % ailleurs au pays.

La couverture plus large des médicaments spécifiques au TDAH à longue durée d'action au Québec par rapport à ce qui a été observé ailleurs au Canada et la gratuité des médicaments pour les enfants et les étudiants à temps plein de 18 à 25 ans inscrits au régime public d'assurance médicaments du Québec pourraient expliquer en partie cette prévalence plus élevée.

Sauf que l'accessibilité aux médicaments n'explique pas tout, poursuit l'INESSS. Un diagnostic posé trop rapidement, un suivi médical insuffisant, l'influence des parents et celle des milieux scolaires sur les médecins, le manque d'activité physique, le non-respect de saines habitudes de vie ainsi que les mesures particulières offertes en milieu scolaire (incluant au niveau universitaire) aux personnes qui ont reçu un diagnostic de TDAH pourraient aussi expliquer cette différence marquée avec le reste du Canada. « Le médicament représenterait le traitement le plus facilement accessible dans l'offre de services actuelle », conclut l'INESSS dans son rapport.

Photo Patrice Laroche, Le Soleil

Lionel Carmant