En 2015, un scandale éclate dans la communauté scientifique internationale : on découvre que Coca-Cola finance généreusement, à l'insu de tous, un centre de recherche en santé publique. Le fabricant de boissons gazeuses fait alors voeu de transparence et promet de dévoiler les noms des projets qu'il finance. La liste dévoilée par le fabricant est très incomplète, conclut une étude qui s'intéresse au lien entre la science et Coca-Cola et qui désigne l'Université d'Ottawa et deux de ses chercheurs parmi ceux ayant profité des largesses de la multinationale. Explications.

Combien de projets sont financés par Coca-Cola ?

Beaucoup. Trois chercheurs européens ont décidé de se pencher sur la liste dévoilée par Coca-Cola des études et projets qu'elle a financés. Ils l'ont comparée à la liste qu'ils avaient eux-mêmes établie, en fouillant les sources de financement des recherches.

Premier constat : selon cette analyse, dirigée par Paulo M. Serôdio de l'Université d'Oxford, 389 études diffusées dans 169 publications spécialisées et signées par un total de 907 chercheurs mentionnent avoir été financées par Coca-Cola entre 2008 et 2016.

Deuxième constat : c'est beaucoup plus que ce qu'a révélé la multinationale, qui n'avait nommé que 42 de ces auteurs et chercheurs. L'analyse de Paulo M. Serôdio et ses collègues a été publiée dans le journal Public Health Nutrition. On y évoque les limites de l'exercice, notamment le fait que plusieurs chercheurs sont souvent liés au même projet qui peut s'échelonner sur plusieurs années. Elle conclut néanmoins que « Coca-Cola n'a pas déclaré une liste complète des études financées. De plus, plusieurs chercheurs ont omis de déclarer leur source de financement ».

Dans un commentaire envoyé par courriel hier en fin de journée, Coca-Cola assure que les divulgations ont été faites de bonne foi et que les divergences sont attribuables aux méthodes et aux critères utilisés par les auteurs de l'analyse.

L'analyse contient aussi des listes des institutions et des individus ayant reçu le plus d'argent de Coca-Cola. On y trouve deux Canadiens : Jean-Philippe Chaput et Mark Tremblay, tous les deux de la faculté de médecine de l'Université d'Ottawa. Le montant associé à leurs noms est impressionnant : plus de 6 millions de dollars entre 2010 et 2014.

L'Université d'Ottawa a-t-elle reçu des millions de Coca-Cola ?

Non, répond Jean-Philippe Chaput, joint hier à son bureau du Children's Hospital of Eastern Ontario. Le projet financé par Coca-Cola est l'étude ISCOLE - pour International Study of Childhood Obesity, Lifestyle and the Environment. Elle regroupe le travail de 22 chercheurs internationaux pour comparer les facteurs contribuant à l'obésité infantile dans différentes régions du monde. L'alimentation est étudiée, mais dans un contexte global qui comprend aussi les facteurs environnementaux et le style de vie en général. Coca-Cola a versé 6 426 308 $ pour l'ensemble du projet. Mark Tremblay et Jean-Philippe Chaput ont reçu 400 000 $ pour réaliser le volet canadien de cette collecte de données comparatives. L'argent a servi à payer un salaire de 60 000 $ par année (pour quatre ans) à un chef de projet, l'aide d'un coordonnateur et du matériel spécialisé. Ni l'un ni l'autre des chercheurs signataires n'ont touché de l'argent de Coca-Cola.

Jean-Philippe Chaput a lui-même sourcillé lorsque son collègue Mark Tremblay lui a proposé de participer à l'étude, en 2010. Selon lui, ce projet d'importance n'aurait jamais pu se faire autrement. L'Université d'Ottawa a approuvé le protocole et la source de financement de l'étude ISCOLE.

Coca-Cola avait-elle un droit de regard ?

Jean-Philippe Chaput assure que non. Il assure aussi qu'il avait fait les vérifications avant d'accepter de participer à l'étude. « Initialement, je n'étais pas à l'aise avec ça, dit le chercheur. Je craignais que Coke puisse nous dire ce qu'on pouvait publier ou non. » Le Dr Chaput affirme aussi que son groupe n'a jamais caché être financé par Coca-Cola. Le projet auquel il a participé figure d'ailleurs parmi ceux dévoilés par la multinationale. De plus, estime Jean-Philippe Chaput, la situation était fort différente de celle du Global Energy Balance Network, dont les chercheurs s'intéressaient au lien entre l'obésité et le manque d'exercice en omettant systématiquement de mentionner leur source de financement, Coca-Cola.

Qu'est-ce que ce fameux Global Energy Balance Network ?

Le Global Energy Balance Network était un groupe américain mené par deux scientifiques réputés et respectés, James Hill et Steven Blair. Sa spécialité : les liens entre l'obésité et le manque d'exercice. À l'été 2015, le New York Times a révélé que ce groupe de recherche était financé par Coca-Cola, ce que les deux cofondateurs s'étaient bien gardés de divulguer. Cette révélation a mis au jour la ligne directrice du groupe, qui évitait d'associer la consommation de boissons gazeuses et l'obésité. En décembre 2015, le Global Energy Balance Network a cessé ses activités. Cette histoire a incité Coca-Cola à lancer sa politique de transparence. Ce sont les informations divulguées dans le cadre de cette politique que les chercheurs européens ont scrutées à la loupe pour conclure qu'il y avait de nombreuses omissions.

Coca-Cola devrait-elle financer des études en santé publique ?

Non, tranche sans réserve Michel Lucas, de l'Université Laval, chercheur associé au CHU de Québec. « Les données des études ne sont pas trafiquées, mais c'est l'angle qui est donné », dit-il. Selon lui, les chercheurs devraient se tenir loin du financement par des entreprises qui mettent en marché des aliments riches en sucre et pauvres en bons nutriments, comme Coca-Cola, peu importe la liberté qu'on leur promet. « Les chercheurs doivent être indépendants d'esprit », dit-il.

Le chercheur Jean-Philippe Chaput conclut que, dans les mêmes conditions, il accepterait de nouveau des fonds de Coca-Cola. Mais il avoue que c'est une lame à double tranchant. « Ça met un doute sur l'étude, dit-il. Coke est vue comme un vilain et je crois que ça nous a beaucoup nui. On aurait aimé être publiés dans des publications à fort impact, comme The Lancet ou le JAMA, mais ça n'a pas fonctionné. C'est peut-être à cause de Coke. »

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COCA-COLA FAIT DE NOUVELLES DIVULGATIONS


Coca-Cola vient de dévoiler ses contributions au Canada pour 2017. La liste est très courte : Participaction a reçu 400 000 $, l'École de nutrition de l'Université de Toronto a reçu 12 500 $ pour un programme scientifique et un groupe de médecine alternative de Toronto a obtenu 15 000 $. Au Canada, l'organisme de promotion de l'activité physique Participaction a reçu un total de 6 802 889 $ de Coca-Cola depuis 2009, ce qui le place en haut du palmarès.