Québec pouvait-il « déchirer » la fameuse entente qui le lie aux médecins spécialistes ? Alors que le débat sur la rémunération de ces professionnels de la santé fait rage dans la sphère politique, La Presse a sondé des juristes afin de savoir si le gouvernement pouvait renier sa signature. Réponse : oui et non.

COÛTEUX POUR LE GOUVERNEMENT

Les parties qui signent un contrat sont liées par ce contrat. C'est l'idée qui sert de base à nos sociétés, ont expliqué en choeur les avocats consultés par La Presse. « C'est le droit commun qui s'applique, à n'importe quelle partie, publique ou privée », a indiqué Patrice Garant, professeur émérite à l'Université Laval et auteur du livre de référence en matière de droit administratif. Un gouvernement qui voudrait annuler un contrat passé s'exposerait donc à être condamné à des dommages, a souligné Pierre Gabriel Jobin, professeur émérite à McGill.

IMPOSSIBLE DE PLAIDER L'ENRICHISSEMENT INJUSTIFIÉ

Il n'est donc pas possible pour le gouvernement de simplement plaider que les médecins se sont enrichis injustement, comme peut le faire un conjoint à la fin d'une union de fait dans laquelle il estime avoir perdu de l'argent. « L'enrichissement injustifié ne peut pas être utilisé, en droit, dans le cadre d'un contrat. S'il y a un contrat qui s'avère préjudiciable à l'une des deux parties, cette partie victime ne peut pas réclamer de l'autre en vertu du principe d'enrichissement injustifié », a indiqué Me Jobin. Les parties doivent vivre avec l'entente qu'elles ont acceptée.

DES EXCEPTIONS

De rares exceptions permettent à une personne de ne pas exécuter ses obligations contractuelles. L'erreur grave et la force majeure sont du nombre, a expliqué Me Garant. La force majeure est à oublier : l'événement doit être complètement imprévisible pour entrer dans cette catégorie, et même une crise économique n'y correspond pas. Le spécialiste Patrice Garant avance toutefois que les prévisions de croissance erronées des salaires des médecins ontariens utilisées pour négocier l'entente pourraient peut-être servir de base à un argumentaire. Mais « ce serait très difficile », a-t-il ajouté.

POSSIBLE POUR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

S'il est très difficile pour un gouvernement d'annuler un contrat dont il est signataire, il n'en est pas de même pour le Parlement. « Avec une loi spéciale, l'Assemblée nationale, grâce à la souveraineté parlementaire, peut faire n'importe quoi qui n'est pas inconstitutionnel », a exposé Nicholas Jobidon, professeur à l'Université d'Ottawa. « Il y a une grosse différence entre les actions de l'exécutif et les actions du législatif. » Parmi les limites que la Constitution pose au pouvoir des parlementaires : la Charte canadienne.Mais comme celle-ci ne protège pas le droit de propriété, les médecins spécialistes devront se lever de bonne heure pour démontrer que la loi spéciale viole leurs autres droits fondamentaux, a plaidé Me Garant.

Photo Ivanoh Demers, Archives La Presse

Il serait difficile pour le gouvernement d'annuler son entente avec les médecins spécialistes. Mais grâce à la souveraineté parlementaire, l'Assemblée nationale pourrait voter une loi spéciale.