Après avoir bloqué tous les amendements proposés en comité, lundi soir, les libéraux se sont montrés plus souples, mardi, alors que s'est poursuivie l'étude détaillée du projet de loi fédéral sur l'aide médicale à mourir.

Les élus de la formation, qui forment une majorité autour de la table du comité de la justice et des droits de la personne, ont accepté d'inclure à C-14 une disposition visant à protéger la liberté de conscience des médecins et une autre écourtant le délai entre la demande et l'administration de l'aide à mourir.

Les aspects les plus litigieux du projet de loi - les critères d'admissibilité et les mesures de sauvegarde - demeurent, mais l'ajout d'une clause assurant que la liberté de conscience des médecins serait préservée représente sans contredit une victoire pour les partis d'opposition.

L'amendement mis de l'avant par le député néo-démocrate Murray Rankin, qui était le résultat d'un effort transpartisan, a été adopté à l'unanimité, mardi après-midi, en comité. «Je pense que cela réconfortera beaucoup de monde», s'est réjoui l'élu.

Le gouvernement avait jusqu'à présent argué que rien dans C-14 ne contraignait les professionnels de la santé à prodiguer l'aide médicale à mourir, et qu'il devrait par ailleurs revenir aux collèges des médecins des provinces de réglementer cet aspect. Il s'est finalement rendu aux arguments de l'opposition.

Le secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice, Sean Casey, a précisé que la position du gouvernement a été prise «à la lumière du bon travail réalisé en comité sénatorial» - un commentaire peut-être destiné à amadouer le comité, où siègent plusieurs sénateurs réfractaires au projet de loi.

Un peu plus tôt en matinée, lors de la deuxième séance d'étude article par article de la mesure législative, les libéraux avaient fait adopter un amendement faisant passer de 15 à 10 «jours francs» le délai entre le moment où un patient formule une demande de soins médicaux de fin de vie et l'obtient.

Le député libéral Chris Bittle a assuré que cela n'aurait aucun impact préjudiciable sur les mesures de sauvegarde. Faire souffrir inutilement des patients qui respectent les critères d'admissibilité serait tout simplement «cruel», a-t-il fait valoir.

Fait à noter, le projet de loi prévoit que cette période pourrait être raccourcie si les professionnels de la santé traitants «jugent que la mort de la personne ou la perte de sa capacité à fournir un consentement éclairé est imminente».

Les trois conservateurs qui siègent au comité se sont opposés à l'amendement. Le député Michael Cooper a dit ne pas comprendre pourquoi l'on devrait réduire un délai qui est déjà selon lui très court.

Le comité a par ailleurs adopté mardi soir un amendement enjoignant Ottawa à déclencher, dans les six mois suivant l'adoption éventuelle de C-14, des études sur l'accès à l'aide à mourir pour les mineurs et les personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que sur la question du consentement préalable.

L'étude détaillée de ce délicat projet de loi s'était amorcée lundi soir en comité dans une atmosphère d'urgence, le gouvernement de Justin Trudeau tenant mordicus à légiférer dans ce dossier avant la date butoir du 6 juin fixée par la Cour suprême du Canada.

Les députés libéraux avaient passé la soirée à se servir de leur majorité pour bloquer pratiquement toutes les propositions d'amendements mises de l'avant par leurs collègues de l'opposition. Ces derniers ont ensuite pourfendu leur intransigeance.

Les élus néo-démocrates Murray Rankin et Brigitte Sansoucy et leur collègue bloquiste Luc Thériault ont alors signalé qu'ils pourraient voter contre C-14 face au refus des libéraux de revoir certains critères d'admissibilité qu'ils jugent inconstitutionnels.

En point de presse dans le foyer des Communes, mardi midi, le leader du gouvernement en Chambre, Dominic LeBlanc, a cherché à minimiser les critiques, tout en prévenant qu'il n'«y a pas un projet de loi qui est à l'abri à un moment donné d'être amené devant les tribunaux».

Il a par ailleurs évoqué la possibilité que les libéraux puissent couper court aux débats en troisième lecture à la Chambre des communes - comme ils l'avaient fait en deuxième lecture - afin de permettre au projet de loi de traverser au Sénat, puis de recevoir la sanction royale, avant le 6 juin.

«Préparez-vous, si ultimement on a besoin d'avoir un recours procédural pour pouvoir envoyer un projet de loi au Sénat, ils (l'opposition) vont fabriquer encore là une indignation exagérée», a dit M. LeBlanc aux journalistes parlementaires.

Vers une opposition néo-démocrate?

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair, a suggéré pour la première fois, mardi après-midi, qu'il pourrait s'opposer à la mesure législative. Il disait depuis son dépôt qu'il comptait y donner son aval pour éviter un vide juridique.

«Moi, je dis à chaque fois que je suis à ce micro que je suis en faveur du principe de ce projet de loi. C'est pour ça que j'ai voté pour la semaine dernière. Mais s'il y a une faille de cette taille-là que M. (Justin) Trudeau s'entête à laisser dans le projet de loi, il va falloir que tout le monde se pose la question», a-t-il lâché.

«Comment est-ce qu'on pourrait de manière responsable voter pour quelque chose s'il garde un élément inconstitutionnel?», s'est-il demandé à voix haute en point de presse.

L'étude article par article du projet de loi C-14 se poursuivra mercredi après-midi au comité de la justice et des droits de la personne. Son président, le libéral Anthony Housefather, a dit espérer déposer son rapport aux Communes d'ici la fin de la semaine.

Tous les députés, à l'exception des membres du cabinet Trudeau, seront libres de voter selon leur conscience. Les libéraux disposant d'une majorité de députés, le projet de loi pourrait être assez aisément adopté en Chambre. C'est au Sénat que les choses pourraient se corser.