Alors que le réseau de la santé est appelé à se serrer la ceinture, 28 établissements paient pour s'affilier au Réseau Planetree Québec, une organisation qui dit «promouvoir une approche humaniste des soins» en santé. Philosophie inutile et coûteuse, selon certains, outil essentiel pour améliorer l'environnement de soins et de travail, répliquent d'autres. Portrait d'une approche controversée.

Dans une pièce embaumant l'eucalyptus, une douzaine de personnes âgées souffrant de démence se reposent, les yeux mi-clos, dans leur fauteuil roulant. Sur un fond de musique zen, une voix les encourage à méditer. Une préposée se promène d'un résidant à l'autre et leur masse délicatement les mains avec une huile essentielle.

Au Centre gériatrique Maïmonides de Montréal, les patients, en perte d'autonomie, sont traités aux petits soins. « Et c'est parce que nous avons toujours en tête la philosophie Planetree qu'on y arrive », affirme Karen Flam, directrice de la Fondation du Centre gériatrique Maïmonides.

Ici, une dame joue du piano pour détendre des résidants en fin de vie. Là, une machine à pain dégage de bonnes odeurs pour encourager les résidants à s'alimenter. Un peu plus loin, les plafonds ont été refaits pour recréer l'image du ciel, afin d'apaiser les résidants. « On a toujours eu à coeur le bien-être des résidants. Mais Planetree nous a amenés plus loin », affirme Mme Flam.

L'établissement, qui compte 387 résidants, est certifié Planetree depuis 2008. Là-bas, toutes les dépenses liées à cette « approche holistique » sont payées par la Fondation. Pour Mme Flam, les impacts de Planetree sur la clientèle sont plus que positifs.

À Sherbrooke, le Centre de réadaptation de l'Estrie a été le premier établissement de santé québécois à adopter l'approche Planetree, en 2008. Une « salle Inukshuk » visant à encourager la vie spirituelle de la clientèle et du personnel y a été aménagée grâce à des dons. À l'heure du midi, des cours de yoga et de méditation sont offerts aux employés dans cette salle où l'on trouve une petite chute d'eau, un aquarium avec des poissons et un hamac.

On a aussi créé trois pièces sur les thèmes de l'Air, de la Terre et du Feu, où se déroulent différentes consultations et un jardin thérapeutique.

La philosophie

Planetree est né aux États-Unis en 1978. Une patiente, Angelica Thieriot, avait vécu une mauvaise expérience à l'hôpital et a voulu changer les choses en créant une philosophie de soins axée sur les besoins des patients. Dès sa création, l'organisme sans but lucratif Planetree a adopté 10 « composantes essentielles ».

Une série de 50 critères est également bâtie afin de pouvoir « certifier » les établissements de santé qui adoptent l'approche Planetree.

La présidente du Réseau Planetree Québec, Lucie Dumas, explique que son organisation est un « regroupement d'établissements de santé qui aspire à promouvoir et à préserver l'humain au coeur des soins et de la gestion ». « Il ne s'agit pas d'une mode, d'un programme ou d'une nouvelle méthode. Il s'agit d'une structure qui encadre l'intangible : le mariage des savoirs, savoir-faire et, surtout, savoir-être », dit-elle.

Lot de critiques

Sur le terrain, l'approche Planetree ne fait pas l'unanimité. Des employés contactés par La Presse ont remis en question le modèle.

« Planetree, c'est une philosophie de gestion basée sur des dogmes. Pendant qu'on coupe dans les services et dans les heures de travail, on rénove des salles en respect avec "l'approche Planetree" », affirme le président du Syndicat du Centre jeunesse de l'Estrie, Steve Lemieux.

« C'est difficile d'être contre la vertu. Mais sur le terrain, on ne voit pas ce que ça apporte de plus » 

Une position partagée par plusieurs syndiqués qui se sont confiés à La Presse de façon anonyme, par peur des représailles.

« Je constate que certains employés mentionnent que l'approche Planetree a pour eux beaucoup de sens dans la pratique de leur travail, alors que d'autres se questionnent sur la pertinence d'être membre de Planetree dans un contexte de restriction budgétaire et de coupes de services », affirme pour sa part le président du syndicat des employés du Centre de réadaptation de l'Estrie, Martin-Pierre Mercier.

« L'initiative est louable en soi. Mais en même temps, c'est le gros bon sens. Pourquoi payer pour ça ? », demande un gestionnaire d'établissement qui préfère garder l'anonymat.

Des liens étroits avec le public

En 2005, le Centre de réadaptation de l'Estrie (CRE) à Sherbrooke a été le premier établissement québécois à s'affilier à l'organisation Planetree. Quelques années plus tard, la directrice du CRE, Lucie Dumas, a elle-même créé l'organisme sans but lucratif Réseau Planetree Québec avec une subvention de 300 000 $ du ministère de la Santé.

La filiale québécoise de Planetree partage l'objectif d'offrir un milieu de soin agréable, mais se concentre aussi à fournir un environnement de travail optimal aux employés. Chaque année, les établissements affiliés versent une cotisation au Réseau Planetree Québec, en plus de payer pour certaines formations et évaluations.

Les liens entre le Réseau Planetree Québec et le réseau public de santé sont très étroits. Les bureaux de Planetree sont situés à l'intérieur du bâtiment du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de l'Estrie, à Sherbrooke, où se trouve également le Centre de réadaptation de l'Estrie.

Le porte-parole du CISSS de l'Estrie, Olivier Lemieux-Girard, indique ne pas voir de problème dans le fait qu'un organisme privé faisant affaire avec des établissements du CISSS soit installé dans la même bâtisse. Il affirme que ce n'est pas le Réseau Planetree Québec qui procède aux certifications des établissements de santé, mais bien le siège social américain.

« Planetree Québec ne fait qu'accompagner les établissements membres. Ça ne fait pas de différence qu'on les accueille ou non. »

La Presse a également pu constater l'accès privilégié qu'a le Réseau Planetree Québec dans certains établissements. Mise au courant des demandes d'accès à l'information faites par La Presse auprès des établissements du réseau de la santé affiliés à Planetree, Mme Dumas a pris directement contact avec le quotidien avant même d'avoir été sollicitée pour une entrevue. « Plusieurs membres du Réseau Planetree Québec m'ont informée de l'intérêt que vous portez à notre regroupement », a-t-elle écrit au recherchiste de La Presse, Serge Laplante.

Le Centre de réadaptation InterVal, en Mauricie, a carrément inclus Mme Dumas dans les échanges de courriels avec La Presse concernant la demande d'accès à l'information.

Finalement, certains employés du réseau de la santé sont payés par le Réseau Planetree Québec pour offrir des séminaires Planetree. C'est le cas de Marie-Claude Poulin, coordonnatrice Planetree et agente d'information au Centre de réadaptation de l'Estrie. Mme Poulin a confirmé être « payée par RPQ dans le cadre d'une entente de prêt de service » quand elle offre ces séminaires.