Les psychiatres demandent plus de pouvoir quand vient le temps d'hospitaliser contre son gré une personne atteinte de maladie mentale. Une rencontre doit avoir lieu dans les prochaines semaines entre des membres de l'Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ), appuyés par un organisme d'aide aux familles, et des représentants des ministères de la Justice et de la Santé du Québec, a appris La Presse.

Le but : proposer des amendements à la loi P-38, qui régit la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. En bref, c'est cette disposition qui permet actuellement aux médecins de demander à un juge d'obliger l'hospitalisation d'un patient qui ne veut pas se faire soigner s'il présente un danger imminent.

Mais selon la présidente de l'AMPQ, la Dre Karine J. Igartua, la loi ne va pas assez loin. « Il y a des patients qui, une fois qu'ils ont été hospitalisés quelques jours, ne représentent plus un danger imminent parce qu'on a commencé à les traiter. Mais c'est prévisible que s'ils sortent, ils vont rechuter. Sauf qu'on ne peut rien faire », dit-elle.

« Même quand les familles veulent qu'ils restent à l'hôpital, on ne peut pas les forcer. On peut juste dire aux proches d'appeler la police quand ça sera rendu à un certain niveau, et qu'à ce moment, on pourra faire quelque chose. »

L'Association des médecins psychiatres souhaite que les critères sur lesquels se base un juge pour ordonner une garde en établissement soient plus larges que le simple niveau de dangerosité. « On ne sait pas encore exactement comment il faut changer ça, mais on veut en discuter. Est-ce qu'on pourrait se baser sur un jugement altéré, par exemple ? » 

La Dre Igartua donne l'exemple d'une femme maniaco-dépressive qu'elle connaît, qui durant une période de manie a acheté une maison dans une ville qu'elle n'habite pas, a acheté une nouvelle voiture, a rompu avec son conjoint et a mis fin à son bail, tout en se brouillant avec sa famille. « Si cette patiente refuse d'être soignée, on ne peut pas l'aider parce qu'elle n'est pas dangereuse. Mais on sait pertinemment qu'elle est en train de ruiner sa vie. »

Les psychiatres comptent sur l'appui de la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale, qui réclame elle aussi un élargissement de la loi. « C'est très difficile pour les familles de voir leurs proches être libérés sans avoir reçu de soins, dit la directrice de l'organisme, Hélène Fradet. Des médecins font sortir des patients faute de prise légale. Après ça, les familles hésitent à retourner vers le système de santé. »

Une loi controversée

Déjà dans sa forme actuelle, la loi P-38 fait l'objet de beaucoup de controverse parce qu'elle brime les droits fondamentaux des personnes atteintes de maladie mentale. La simple idée de l'élargir est très mal reçue par l'Association des groupes d'intervention en défense des droits en santé mentale du Québec.

« Quand on touche aux droits de quelqu'un, on touche aux droits de l'ensemble de la société. Il n'y a pas les droits des gens [atteints de troubles mentaux] et les droits du reste de la société, martèle Doris Provencher, présidente de l'organisme. Une garde en établissement, ça peut arriver à tout le monde et ce n'est pas anodin. C'est comme en prison. On ne peut pas sortir. Les portes sont barrées. Je dois faire attention à ce que je dis, sinon je peux me retrouver en isolement. »

Selon Mme Provencher, les médecins ont déjà amplement de latitude pour imposer des traitements. 

« Ils ont tous les pouvoirs. Qu'est-ce qu'ils veulent de plus ? Je leur rappellerais que cette loi a été faite justement parce qu'il y a eu tellement d'abus. »

Actuellement, un médecin peut mettre une personne sous garde contre son gré durant 72 heures, sans autorisation du tribunal et sans évaluation psychiatrique, seulement s'il est d'avis que son état mental présente un danger grave et immédiat.

Passé trois jours, il faut un ordre de la cour, qui fixe la durée de la garde. Le tribunal peut aussi forcer un malade à se soumettre à une évaluation psychiatrique, afin de déterminer si son état mental présente un danger. Une autre procédure judiciaire distincte, appelée « autorisation judiciaire de soins », permet d'obliger un patient à recevoir des traitements ou à prendre ses médicaments.