La crise qui a touché le Centre universitaire de l'Université de Montréal (CHUM) ces dernières semaines est « un symptôme d'une maladie plus sérieuse à laquelle des remèdes doivent être apportés ».

Dans un rapport rendu public hier sur la gestion médicale du CHUM, les inspecteurs Michel Baron et Claude Desjardins critiquent sévèrement le manque de collaboration de certains médecins et invitent le gouvernement à revoir les règles de gouvernance dans les hôpitaux pour obliger notamment les médecins à appuyer leur établissement.

« Le statut de libre entrepreneur du médecin se heurte fréquemment à la nécessité de l'établissement d'ajuster son offre » et il est « difficile d'optimiser le processus (...) sans la collaboration médicale », écrivent les auteurs du rapport, qui croient que Québec devrait modifier ses lois pour mieux « encadrer la gouverne médicale dans les établissements ».

Le rapport de Dr Baron et de M. Desjardins fait suite à la crise qui a secoué le CHUM ces dernières semaines. Au début du mois de mars, le directeur général du CHUM, Jacques Turgeon, démissionnait pour dénoncer l'ingérence du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, dans la gestion de son établissement. Selon M. Turgeon, le ministre voulait lui imposer de renommer Dr Patrick Harris à la tête du département de chirurgie sous peine de perdre son poste. Le ministre disait plutôt vouloir reconduire tous les chefs de départements du CHUM d'ici au déménagement de l'hôpital, prévu pour l'été 2016. M. Turgeon est finalement revenu en poste, mais la crise perdure. Des chirurgiens du CHUM remettent en question le processus de nomination du futur chef de département. La semaine dernière, le ministre Barrette a parlé d'une « crise de confiance ».

Deux visions

Les auteurs du rapport évaluent pourtant que la gouverne médicale du CHUM « s'est améliorée avec la venue de docteur Jacques Turgeon et son équipe ». On ajoute que le Dr Harris « avait l'estime de ses collègues de chirurgie et d'anesthésie », mais que « la gouverne du département de chirurgie est dysfonctionnelle ».

On dit entre autres que « les orientations de la direction générale et du conseil d'administration du CHUM sont mal reçues par les chirurgiens ». Par exemple, les chirurgiens n'acceptent pas d'établir les priorités opératoires en fonction des listes d'attente, comme le propose la direction.

Les auteurs du rapport mentionnent également que « deux visions s'affrontent » au CHUM : académiques et hospitalières. Et cette opposition cause de nombreux problèmes. Dans le département de chirurgie, l'opposition prend même des allures de « guerre ouverte » entre chefs universitaires et hospitaliers.

Alors que dans la majorité des hôpitaux universitaires en Amérique du Nord, les chirurgiens acceptent de verser une portion de leurs revenus pour financer la recherche et la mission universitaire, les chirurgiens du CHUM refusent. « Ailleurs, on demande aux médecins de verser 6000 $ par année. Ici, on veut nous demander 30 % de notre salaire ! C'est trop », estime un chef de service de chirurgie au CHUM.

Mais selon le rapport, les hôpitaux « fournissent au médecin toutes les ressources humaines et physiques nécessaires à l'exercice de sa profession » et il est donc normal qu'« en retour, un médecin ait des obligations ».

Nomination

Les auteurs s'attardent sur le processus de nomination du futur chef de chirurgie du CHUM, dont la crédibilité est mise en doute par plusieurs chirurgiens. Trois candidats sont actuellement dans la course : Dr Michel Gagner, le Dr Patrick Harris et le Dr Richard Ratelle.

Les auteurs du rapport recommandent la présence d'un observateur neutre « qui verra à témoigner de la rigueur du processus » de sélection.

Il y a deux semaines, M. Turgeon a demandé au ministre Barrette de nommer un tel observateur. Le ministre a plutôt suggéré d'envoyer autant d'observateurs que de membres du comité de sélection. Ces observateurs auraient aussi droit de parole et droit de vote. La porte-parole du CHUM, Irène Marcheterre, mentionne qu'une réponse a été envoyée au ministre Barrette, mais que le CHUM «ne souhaite pas en parler sur la place publique».

Pour les auteurs du rapport, Québec doit rapidement modifier ses règles, car « il existe un véritable problème » dans les hôpitaux du Québec, comme au CHUM.

Réactions

« Plusieurs recommandations à court et à long termes sont incluses dans le rapport. Le ministre prendra le temps de les analyser avant de commenter. »

- Joanne Beauvais, attachée de presse du ministre de la Santé, Gaétan Barrette

« Sur le rapport, je vous invite à communiquer avec le bureau du ministre, car le rapport leur appartient. Il avait été demandé par eux. »-Irène Marcheterre, porte-parole, CHUM

« L'Université va prendre connaissance du rapport et émettra ses commentaires ultérieurement. »

- Mathieu Fillion-Rivest, porte-parole, Université de Montréal

« Les rencontres des deux enquêteurs se sont majoritairement limitées à des acteurs de la direction, tous horizons confondus (...) Le document évacue le caractère d'urgence d'agir pour (...) le ministre de la Santé dont on a réclamé l'intervention de part et d'autres ces jours derniers, au profit d'une vision plus à long terme des choses. Le coeur du problème réside dans l'entêtement inexpliqué du directeur général et de la direction des services professionnels du CHUM à faire perdurer cette situation de crise en raison d'une mauvaise foi évidente.

- Lettre envoyée à La Presse par un regroupement de chirurgiens du CHUM

« On se sert de la situation particulière du CHUM pour passer une commande et produire, en deux semaines, des recommandations qui, étrangement, correspondent à ce que ce gouvernement aimerait bien imposer aux médecins en plus de la Loi 10 et du projet de loi no 20 ! (...) Il y a des limites à nous instrumentaliser et à nous accuser de la sous-performance des hôpitaux et du système de santé. Nous sommes redevables aux patients, pas au ministre ou à ses consultants. »

- Diane Francoeur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec.