Une recrudescence récente de grossesses multiples à la suite de traitements de fécondation in vitro (FIV) inquiète le Collège des médecins, qui a ouvert une enquête pour faire la lumière sur ce qui se passe dans les cliniques de fertilité, a appris La Presse.

Au cours des dernières semaines, certains hôpitaux ont reçu des appels de femmes devenues enceintes de triplés ou de quadruplés à la suite d'une fécondation in vitro. Elles demandaient une réduction foetale, c'est-à-dire une intervention médicale pour réduire le nombre de foetus.

«On a reçu plus d'appels en ce sens depuis le début de l'été, ce qu'on ne voyait plus», confirme la Dre Louise Duperron, chef du département d'obstétrique-gynécologie du CHU Sainte-Justine.

La réduction foetale comporte certains risques, notamment celui que la grossesse avorte. Ces risques sont toutefois moins importants que les conséquences d'un accouchement prématuré, souligne la Dre Duperron.

«Éthiquement, on doit le faire. Avoir quatre prématurés à 26 semaines de grossesse versus avoir seulement deux enfants et avoir ainsi plus de chances de se rendre à 35 ou 36 semaines de grossesse, je pense que pour la famille, pour le bien-être des enfants, il faut le faire.»

Québec rembourse les traitements de fécondation in vitro depuis 2010. La loi régissant la procréation médicalement assistée prévoit qu'un seul embryon peut être implanté à la fois.

Dans certains cas, notamment en raison d'une mauvaise qualité des embryons, le médecin peut implanter deux embryons chez une femme de moins de 36 ans ou trois embryons si elle a plus de

37 ans. Il doit alors justifier sa décision.

Cette balise visait à réduire le nombre de grossesses multiples et les complications qui en résultent. L'objectif semblait avoir été atteint, puisque le nombre de grossesses multiples a chuté de façon importante depuis 2010.

Mais l'augmentation au cours des dernières semaines des demandes de réduction foetale sonne l'alarme. Il semble que l'implantation de plus d'un embryon soit de nouveau une pratique utilisée.

«Nous avons été saisis de la situation et une enquête est en cours», indique à ce sujet la porte-parole du Collège des médecins, Leslie Labranche. Elle refuse toutefois de divulguer les noms des médecins ou des cliniques qui pourraient être visés par l'enquête.

Manque de balises et complications

Dans le milieu, plusieurs médecins réclament par ailleurs davantage de balises pour encadrer la procréation médicalement assistée. Des complications peuvent survenir, mettant la vie de la mère et de son enfant en danger, et on en parle peu.

Les médecins voient défiler dans leur cabinet des femmes souffrant d'obésité morbide, de problèmes cardiaques graves ou qui se relèvent à peine d'un cancer.

Elles sont beaucoup plus à risque de faire de l'hypertension, du diabète, une pré-éclampsie ou d'accoucher prématurément.

«En ce moment, il existe du magasinage dans les cliniques», affirme la Dre Anne Janvier, néonatalogiste et clinicienne-chercheuse au CHU Sainte-Justine.

«Si une clinique dit à une femme qu'elle doit perdre 10% de son poids, que ce sera plus sécuritaire pour elle et le bébé, la femme va aller dans une autre clinique.»

Pour beaucoup de femmes, avoir un bébé est un droit, ajoute la Dre Janvier. «Le désir d'enfant est très émotif. Beaucoup de femmes sont prêtes à retourner sur dialyse pour avoir leur bébé. Elles sont prêtes à mettre leur vie en danger. Elles se feraient couper les deux mains si ça pouvait les aider à avoir leur bébé.»

Le médecin en fertilité peut recommander sa patiente dans les cliniques de grossesses à risque pour une évaluation. Le spécialiste rencontré par la patiente va brosser un portrait des risques, mais aucune balise ne lui permet de refuser un traitement de FIV.

«Tu dis à une femme qu'elle a 90% de chances d'avoir des complications et 10% de chances que tout aille bien, elle va prendre le 10%», lance la Dre Louise Duperron.

Ces femmes, la Dre Duperron et ses collègues les voient revenir lorsque ça se passe mal. «Elles nous disent: «J'ai le droit de tomber enceinte», et on n'a rien pour les refuser vraiment. Elles deviennent enceintes et nous, en clinique de grossesses à risque, après, on ramasse les pots cassés.»

Car la décision finale revient au médecin en fertilité et à sa patiente, confirme le Dr François Bissonnette, président de la Société canadienne de fertilité et d'andrologie.

«Une patiente peut considérer que le risque ne vaut pas la chandelle alors que l'autre se dit prête à assumer le risque. Des fois, on peut arriver avec un risque significatif, mais que le médecin et sa patiente ont accepté», explique celui qui travaille également à la clinique OVO et à la clinique de fertilité du Centre hospitalier de l'Université de Montréal.

Le coût du programme de procréation assisté a bondi depuis sa création, en août 2010. Mais personne ne tient compte des coûts très élevés qui résultent du manque de balises et des complications qui surviennent, déplorent plusieurs médecins.

Le rapport du commissaire à la santé et au bien-être, qui doit produire d'ici quelques mois un avis au ministre Réjean Hébert sur la question de la procréation assistée, est attendu avec impatience.