Les reins de Camille sont comme de vieux pruneaux secs. Ils sont morts. La maladie a frappé il y a environ deux ans à la suite d'un virus aux allures grippales, la vasculite. Et elle a frappé de façon foudroyante. Voici son parcours.

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ATTENDRE

9 mars 2011

Les yeux de Lucie s'embuent. Fatigue. Exaspération. La dernière fois que Camille et sa mère sont allées à Montréal, elles auraient aimé que ce soit la dernière. Mais non. Dans quatre mois, cela fera trois mois que la fillette est sur la liste d'attente pour recevoir un rein. Et toujours pas d'appel.

Lucie ne saura jamais comment la maladie a pu attaquer les reins de sa fille, il y a environ trois ans. «C'est peut-être un antibiotique, ou tout simplement un traitement chez le dentiste, lâche-t-elle. On ne le sait pas. En tout cas, la vie nous en réservait toute une.»

La petite Camille se lève, passe la main dans les cheveux de sa maman, va vers la cuisinette de l'appartement-hôtel et revient avec une boîte de jus.

«On va finir de charger la fourgonnette et aller prendre une bouchée, lance Lucie à ses filles. Si on part assez tôt, on va éviter la tempête de neige prévue en fin de journée. Et on va arrêter chez une cousine. Ça va faire du bien de voir de la famille.»

Lucie regarde ses filles, ses yeux font le tour de la pièce, comme pour s'assurer qu'elle n'a rien oublié. Dans une dizaine de jours, ce sera le printemps.

La mère de Camille en a gros sur le coeur. Elle ne comprend pas pourquoi les gens ne signent pas leur carte de don d'organes.

«Tout le monde à qui j'en parle dit qu'il est en faveur, mais quand je demande si leur carte est signée, c'est toujours le même silence. Le gouvernement devrait changer les règles et prévenir qu'une carte non signée est un consentement automatique. Les gens n'auraient ainsi pas le choix de prendre une décision.»

Camille lève les yeux vers sa mère. «Peut-être que le mois prochain, j'aurai un rein», dit-elle, avec une lueur résignée dans le regard. Lucie trouve la force de sourire. «Pourtant, les enfants malades sont prioritaires sur les listes d'attente pour recevoir un organe.» :

ON A UN REIN!

26 mars 2011

Camille était seule dans le bois, en train de recueillir de l'eau d'érable, quand le téléphone a sonné. Sa mère venait d'aller conduire l'une de ses filles chez un ami, et elle était dans l'allée des pantalons pour enfant d'un magasin. C'est Marc qui a pris l'appel.

Le Dr Michael Zapitelli, de garde à l'hôpital, a commencé par prendre des nouvelles de Camille. Son père a trouvé étrange qu'un néphrologue appelle à Québec en plein samedi. «On aurait un donneur pour Camille», a dit le médecin.

Marc, un solide gaillard qui vit de la terre, s'est mis à trembler de tout son corps. Il a appelé Lucie, mais n'était pas capable de prononcer un seul mot. La mère a compris.

Camille est revenue avec son seau d'eau d'érable à la maison. Elle a écouté le message sur la boîte vocale. Quand son père est arrivé, elle était dans sa chambre en train de rassembler des vêtements sur son lit. Qu'est-ce que tu fais, Camille? a-t-il demandé. «Je fais ma valise, papa, on a un rein. Il faut y aller.»

Lucie a conduit d'une traite jusqu'à Montréal. Marc était trop nerveux, il aurait dépassé les limites de vitesse. À leur arrivée, on leur a donné une chambre au sixième étage. Les choses n'ont pas traîné. Camille a encore dû avoir des prises de sang. On l'a pesée.

On parle fort dans la chambre. Il y a le père, la mère, les deux soeurs et Camille. Ils ont fait livrer du vietnamien. Ambiance cabane à sucre. Le Dr Zapitelli explique que l'opération aura lieu soit à 5h du matin, soit à 7h, ou à 9h, cela dépend du prélèvement de l'organe chez le donneur, «un donneur pédiatrique», c'est tout ce qu'on sait. Un peu étonné par les restes vietnamiens, le médecin prévient Camille qu'elle ne peut plus manger.

La nuit est longue. Vers minuit, on avise Lucie, qui est seule dans la chambre avec sa fille, que la transplantation aura lieu à 9h. Au petit matin, Lucie vérifie la machine de dialyse qu'elle a branchée comme d'habitude vers 19h30, la veille. Les cycles ne sont pas terminés. Elle se prépare à laver sa fille avec le produit antiseptique. Marc arrive les yeux bouffis. Il lui a fallu deux bières et deux sacs de chips pour parvenir à dormir un peu.

À 9h, Camille est poussée sur son lit à roulettes jusqu'à l'entrée du bloc opératoire. Elle ne pleure pas. Son père tient sa main. Pour une rare fois, Lucie est à l'écart, elle essuie des larmes qui n'arrêtent pas de couler.

Le Dr Jean Tchervenkov arrive à la hauteur de Camille, son manteau d'hiver toujours sur le dos. Ses cheveux sont encore mouillés, probablement de la douche. Il affiche un sourire jovial, regarde Camille et lui demande si elle sait ce qu'il va lui faire. «Est-ce que je vais te poser des rallonges de cheveux?», demande-t-il avec un clin d'oeil. «Non, vous allez me faire un rein», marmonne-t-elle, tout bas.

On emmène Camille à la salle d'opération. Elle ne pleure pas, ne tremble pas. L'anesthésiste lui demande si elle veut qu'elle lui chante une chanson. Camille fait non de la tête. On lui place un masque sur le visage, et elle s'endort. À 10h30, elle est sous anesthésie générale.

Le chirurgien demande à voir le rein. «Comme il s'agit d'un rein pédiatrique, il va prendre de l'expansion dans le ventre de Camille jusqu'à ce qu'elle fête ses 16 ou 17 ans, d'un centimètre ou deux», explique-t-il. Contrairement au rein provenant d'un donneur vivant, celui-ci est entouré de tissus. Le Dr Tchervenkov s'applique à préparer le petit organe pendant que ses assistants font une incision dans le ventre de Camille. Il demande des tests supplémentaires en immunologie pour s'assurer de la compatibilité.

À 12h53, le rein sort de la glace. «Il faut minuter le temps qu'il passe à l'air libre», lance le Dr Tchervenkov d'un ton ferme.

Le rein est branché à une artère de la jambe de Camille. On installe une poche de sang du même groupe sanguin que Camille, le groupe B. À 13h24, le chirurgien donne le signal à l'anesthésiste. Quelques minutes plus tard, le rythme cardiaque de Camille augmente, le rein prend vie, il passe du blanc au rose, il double de volume.

«Vous savez, avec les médicaments de plus en plus efficaces, son rein peut durer jusqu'à 30 ans. Les premiers jours sont déterminants pour le rejet. Quand j'ai commencé en 1987, ça arrivait une fois sur deux. Maintenant, on va avoir un rejet une fois sur dix seulement.»

Le chirurgien va revenir plus tard. Camille est transférée aux soins intensifs. Le Dr Tchervenkov prend le couloir d'hôpital, puis s'arrête et se retourne: «S'il n'y avait qu'un message à passer, ce serait de dire que la transplantation est un traitement qui ne coûte rien, et que c'est le plus efficace. C'est l'équivalent d'une chimiothérapie pour traiter les cancers, mais elle se fait en quelques heures. Et après, c'est la guérison.»

Le père est le premier à passer les portes vitrées des soins intensifs. La petite soeur jumelle de Camille suit derrière. Camille est branchée de partout. Le son de son rythme cardiaque marque le tempo. Du sang s'écoule de son nez. Elle est à demi consciente.

Marc se penche au-dessus de sa fille. Il lui chuchote des mots de réconfort à l'oreille en effleurant ses épaules. La petite soeur, Alexe, recul d'un pas. Ses joues deviennent rouges. La chaleur semble grimper d'un cran dans cette petite cellule des soins intensifs. C'est trop. Alexe s'évanouit pendant que Camille reprend tranquillement connaissance.

ÉPILOGUE

26 mars 2011

Le soir même, Marc est retourné à Québec avec ses deux autres filles pour faire rouler l'entreprise. En arrivant à la maison, c'était plus fort que lui. Il voulait savoir. Quelques recherches sur le web lui ont suffi pour trouver d'où provenait le nouveau rein de sa fille.

Camille a dû lutter contre un rejet à renfort de médicaments et d'antibiotiques puissants, en plus d'avoir contracté la bactérie C. difficile. Elle n'a pas donné de nom à son rein. Elle revient tous les mois à Montréal pour des examens. Environ un mois après la transplantation, on a retiré la tige de son abdomen qui servait à la dialyse quotidienne. Pour la première fois depuis des années, elle n'est plus branchée pour vivre.

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