La Ville de Montréal était viciée jusqu'au sommet de son administration, tellement que cela pourrait l'empêcher de récupérer l'argent détourné dans les contrats publics.

Montréal pourrait vouloir poursuivre au civil des firmes de génie-conseil ou de construction pour retrouver cet argent. «Mais le délai de prescription est de trois ans après la découverte des faits», rappelle Me Simon Ruel, spécialiste des commissions d'enquête.

«Si les responsables étaient des fonctionnaires isolés, la Ville pourrait soutenir qu'elle n'était pas au courant», poursuit-il. Mais selon différents témoignages entendus à la commission Charbonneau, de hauts fonctionnaires y participaient.

Plusieurs rapports, dont un produit en 2004, ont démontré que le marché de Montréal était fermé et que les prix étaient artificiellement gonflés. Ce dernier rapport se serait notamment rendu entre les mains du numéro deux de la ville, Frank Zampino. Si Montréal intente des poursuites, elle se butera sûrement à ce problème, prévoit Me Ruel.

Montréal pourrait aussi poursuivre des fonctionnaires pour une «faute délictuelle», qui a causé des dommages. Me Ruel, qui a travaillé entre autres aux commissions Bastarache et Gomery, rappelle d'ailleurs que Charles Guité avait été poursuivi sous de tels motifs dans la foulée du scandale des commandites.

Mais même si des fonctionnaires municipaux ont pu faire perdre des millions, «la question de leur solvabilité se pose», poursuit-il.

«Par exemple, pour un fonctionnaire comme Gilles Surprenant, après le compte de banque et la maison, il ne reste pas grand-chose.»

L'impatience de la CAQ

Jeudi, la Coalition avenir Québec (CAQ) demandait au gouvernement péquiste de poursuivre les firmes de génie-conseil ou de construction qui ont pu détourner l'argent des contribuables. La demande est un peu rapide, estime Me Ruel.

Il rappelle qu'un extra n'est pas nécessairement illégal. Et qu'au provincial, à l'heure actuelle, la preuve n'est pas la même que pour la Ville de Montréal. «Selon ce que j'ai vu à la Commission, ça semble prématuré. Mais peut-être qu'ils ont des informations que je n'ai pas», dit-il prudemment.

Et si Québec veut poursuivre au criminel, c'est le Directeur des poursuites criminelles et pénales qui doit prendre cette décision en toute indépendance des pressions politiques, ajoute-t-il. «On comprend l'importance de cette étanchéité quand on imagine un cas où un élu provincial serait poursuivi», image-t-il.

Me Ruel, auteur de The Law of Public Inquiries in Canada, rappelle en outre que les enquêteurs ne peuvent utiliser comme preuve un témoignage à la commission Charbonneau, ni les «preuves dérivées», soit celles basées sur un témoignage. Ils doivent refaire la preuve, ce qui peut être long. «Oui, c'est scandaleux, ce qu'on entend. Mais on savait que la commission d'enquête poserait ce problème.»