Sa nomination au ministère de la Sécurité publique a créé la surprise, la semaine dernière. Tous reconnaissent toutefois la détermination et la poigne de Lise Thériault pour faire face au boys club de la police, elle qui a su gravir les échelons rapidement, passant de réceptionniste à vice-première ministre, après avoir déculotté les syndicats de la construction.

LA VENDEUSE

Ne cherchez pas dans son curriculum vitae la formation qui sert de tremplin à bien des politiciens. Lise Thériault n'a pas de diplôme en droit, en économie ou en sociologie. Elle a complété la cinquième secondaire en passant par le profil professionnel.

«C'était l'époque où les orienteurs nous disaient tous d'aller en informatique. Ça ne me tentait pas d'aller au cégep même si j'étais en enrichi au secondaire. Ce que je voulais, c'était travailler», explique Mme Thériault à La Presse.

Mais en sortant de l'école avec sa formation de réceptionniste, de secrétaire et de commis-comptable, Lise Thériault ne trouve pas d'emploi. «Qu'est-ce qui arrive à bien des jeunes de 18 ans qui n'ont pas de job?», lance Mme Thériault. Après un long silence, elle raconte, avec son franc-parler, avoir bénéficié de l'aide sociale et s'être inscrite à un stage en milieu de travail. «J'étais payée 25 $ par semaine et j'ai appris l'anglais.» Puis, elle éclate de rire au téléphone: «Vous devriez voir la face que fait mon attaché de presse présentement!»

«Sortie du ruisseau»

Lise Thériault ne s'offusque pas de l'incrédulité que suscite son absence de «background académique». Et cela ne change vraisemblablement rien pour ceux qui l'ont vue à l'oeuvre. Discrètement, une personne qui la connaît depuis plus de 20 ans souligne, non sans admiration, que «c'est une femme sortie du ruisseau» qui a profité de chaque occasion pour gravir les échelons et démontrer sa forte personnalité.

Elle décroche un premier emploi de réceptionniste en août 1985, chez Publicité Calbec. Un mois plus tard, elle convainc celui qui l'a embauchée, Gérard Therrien - qui deviendra son conjoint et le père de son fils Gabriel -, qu'elle peut vendre de la publicité. Il s'agit de faire du placement publicitaire dans des calendriers. «J'étais tellement performante qu'à 21 ans, je suis devenue la directrice des ventes. Et en 1993, Gérard et moi, on est devenus partenaires d'affaires et on a lancé le journal L'Édition», raconte-t-elle.

Lise Thériault est la troisième d'une famille de cinq enfants. Elle est née à Toronto, où son père, un Acadien de Saint-Léolin, au Nouveau-Brunswick, était parti, avec femme et enfants, travailler dans l'industrie de la construction. «Sur mon certificat de naissance, il n'y a pas d'accent aigu sur le «e». Il n'y en a pas sur les claviers ontariens! Mais tout a été corrigé», raconte Mme Thériault, en riant de l'anecdote.

Le retour au Québec a été exigé par sa mère, irritée de constater que les deux aînés ne lui parlaient désormais plus qu'en anglais. La famille s'est alors installée dans l'est de Montréal; elle a déménagé régulièrement, provoquant chaque fois l'adaptation à une nouvelle école pour la jeune Lise et la fratrie.

Une pure Montréalaise

L'ex-maire de Montréal Laurent Blanchard est un proche de Lise Thériault. Ils se sont connus alors que M. Blanchard était directeur général de la Corporation de développement de l'Est (CDEST). M. Blanchard avait fait appel à la «rigueur» de la femme d'affaires pour l'analyse de certains dossiers. «C'est une pure Montréalaise de l'Est avec son accent prononcé. Mais c'était surtout une vendeuse redoutable et une femme d'affaires à qui on ne peut pas dire non», se souvient M. Blanchard.

Marie-Hélène Paradis, qui était journaliste à L'Édition et qui suivra Mme Thériault plus tard dans son aventure politique à titre d'attachée de presse, n'a que des éloges à lui faire. «On a fait la guerre ensemble. Lise est une amie. Elle était impliquée partout, à la Chambre de commerce, au réseau des femmes d'affaires de l'Est, dans des conseils d'administration. C'était une très, très bonne vendeuse, et pas seulement de publicité», affirme Mme Paradis. Cette dernière insiste pour dire qu'il suffit que Lise Thériault se donne un objectif pour remplir ses engagements. «Elle est studieuse», laisse-t-elle tomber.

L'AMBITIEUSE

Lise Thériault fait son entrée en politique en 2002, dans une circonscription marquée par une fraude électorale et où les relents d'une démocratie «à 10 piastres» sont toujours dans l'air. Un jugement de la Cour du Québec vient d'établir qu'un travailleur d'élections a mis en place un système d'électeurs illégaux pour favoriser le candidat du Parti libéral du Québec (PLQ): 10 $ étaient versés pour le vote de chaque électeur dont l'identité avait été usurpée. Bien que la direction du PLQ n'ait pas été associée formellement au stratagème, le jugement a entraîné la démission du député libéral qui avait délogé le Parti québécois par 143 voix.

L'arrivée de Lise Thériault agit alors comme un baume pour les libéraux, qui ont bien besoin de dissiper les doutes à leur égard dans Anjou. C'est d'autant plus réussi que le recrutement de la jeune femme d'affaires vient de couper l'herbe sous le pied aux péquistes.

Accointances péquistes

«Le PQ la zieutait depuis déjà un bout de temps. Ses accointances péquistes étaient notoires. Elle faisait partie des jeunes filles qui admiraient Louise Harel», raconte un militant péquiste de longue date. Lise Thériault ne s'en cache pas. «Louise Harel n'était pas seulement une députée, c'était la reine de l'est de Montréal à cette époque-là. Pour son implication dans la communauté, pour son écoute des citoyens, oui, elle est un modèle», dit-elle.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Lise Thériault (au centre), à l'époque où elle était propriétaire du journal L'Édition, avec son conjoint Gerard Therrien (à droite).

Mme Thériault entretenait des liens suffisamment étroits avec le Parti québécois pour le soutenir financièrement; en 2000, elle a versé 375 $ à la caisse électorale. Malgré cela, elle affirme qu'elle n'avait pas de «couleur politique» à l'époque. «Avec mon mari, on était en affaires avec le journal L'Édition et on a toujours fait avec le gouvernement en place», soutient-elle.

Mais les choses vont changer en septembre 2001. Après la démission du député libéral dans la foulée de la fraude électorale, les machines électorales du PQ et du PLQ frappent à la porte de Mme Thériault. «Le vendredi, le Parti québécois appelle, et le lundi, c'était au tour des libéraux. C'était flatteur, mais sur le coup, je me suis bien demandé ce qui se passait», relate-t-elle avec un sourire dans la voix.

Jamais de doute

Pour justifier son choix, elle se limitera à dire qu'elle n'est pas une «séparatiste», puisqu'elle est une «entrepreneure dans l'âme». Mais dans les rangs péquistes, on raconte que Lise Thériault a surtout choisi le tremplin politique qui représentait des possibilités immédiates d'accéder au pouvoir et de faire bouger des choses. À l'époque, le gouvernement péquiste était sur son déclin, sa crédibilité entachée notamment par des scandales de lobbyisme.

«Le Parti libéral lui offrait un comté sur un terrain qu'elle connaissait parfaitement, alors qu'au PQ, l'offre signifiait qu'elle devrait vendre des cartes de membre et subir une investiture. Le choix n'a pas été difficile pour une ambitieuse comme elle», explique sans animosité un péquiste, qui n'a toutefois pas voulu être identifié.

L'ancien organisateur politique Pierre Bibeau se félicite encore aujourd'hui d'avoir recruté Lise Thériault. M. Bibeau l'a côtoyée lorsqu'il présidait la Chambre de commerce et d'industrie de l'est de l'île de Montréal. Mme Thériault occupait la vice-présidence. «J'avais vu son efficacité. C'est une dynamo. Et surtout, elle ne doute jamais de ses capacités», souligne M. Bibeau.

Dans l'entourage immédiat de Lise Thériault, personne n'a été vraiment surpris de son changement de carrière. Pour ses amis, la politique était la suite logique du parcours d'une femme ambitieuse. C'est ce que soutient Alain Dulong, qui connaît Mme Thériault depuis la sortie de l'adolescence et qui a repris les rênes du journal L'Édition (aujourd'hui appelé La nouvelle édition). «Tous les partis politiques s'intéressaient à elle parce qu'elle se démarquait. Tout ce qu'elle touchait réussissait», lance M. Dulong.

La décision de Lise Thériault a été prise en deux semaines, le temps de planifier son retrait de l'entreprise qu'elle dirigeait avec son mari. Quant au chambardement familial qu'allait entraîner la politique dans sa vie, Lise Thériault n'y voyait aucun problème. Son fils Gabriel, âgé alors de 11 ans, était déjà pensionnaire, puisque «les affaires étaient très prenantes».

LA BATAILLEUSE

Lise Thériault n'a pas froid aux yeux. Envoyée au front, en 2010, pour faire avaler aux syndicats de la construction l'élimination de leur sacro-saint pouvoir de placement de la main-d'oeuvre, elle s'est fait une réputation de femme de caractère qui ne s'en laisse pas imposer. Une autre bataille l'attend maintenant: affronter la police en général, et la Sûreté du Québec (SQ) en particulier.

Si la nomination de Mme Thériault à la tête du ministère de la Sécurité publique a pris tout le Québec par surprise, la semaine dernière, personne ne semble douter de sa capacité à exercer un virage. Dans les coulisses du quartier général de la SQ, on se montre prudent. Aucun commentaire public n'a été fait. Mais officieusement, on reconnaît «la poigne» de cette femme qui a fait trembler la FTQ et l'International alors qu'elle avait la responsabilité du Travail.

Vigilance policière

«Il n'y a pas d'inquiétude mais on reste attentif. Elle n'est pas seulement ministre de la Sécurité publique. Elle est le numéro 2 du gouvernement, c'est donc que le premier ministre veut avoir à l'oeil la police», souligne-t-on à La Presse sous le couvert de l'anonymat. Cette même personne rappelle, par ailleurs, que M. Couillard n'a pas apprécié la visite de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) chez lui l'année dernière.

Un policier note que, «pour l'instant», l'arrivée de Mme Thériault «n'a pas créé d'onde de choc». À cet égard, la nomination du député Guy Ouellet, un ancien enquêteur de la SQ, comme adjoint parlementaire de Mme Thériault, semble rassurer les troupes.

«C'est le regard des autres qui a changé à mon égard. J'ai toujours évolué dans un milieu d'hommes», souligne la ministre Thériault. «Ce qui est clair, c'est le mandat que m'a confié le premier ministre, soit de revoir le mode de nomination à la direction générale de la Sûreté du Québec pour s'assurer de protéger l'institution de toute influence politique. [...] Je n'ai pas le mandat de congédier l'actuel DG, Mario Laprise», affirme Lise Thériault.

L'ancien organisateur politique Pierre Bibeau, qui a contribué à l'entrée en politique de Mme Thériault en 2002, croit qu'elle est la femme de la situation. «La SQ a une réputation à rebâtir, et la police de Montréal a aussi du plomb dans l'aile. On a besoin de quelqu'un pour redonner de la crédibilité à l'institution de la police», affirme-t-il.

L'ex-maire de Montréal Laurent Blanchard, un proche de Mme Thériault, souligne qu'elle ne se laissera pas impressionner.

L'amertume de la FTQ

La PDG de la Commission de la construction du Québec (CCQ), Diane Lemieux, qui connaît Mme Thériault depuis l'époque où elle était députée péquiste de Bourget, souligne que le caractère batailleur de Lise Thériault passe par la force du «réseautage» et «sa capacité de convaincre, et ce, même dans les moments de grande tension». C'est Mme Thériault qui a nommé Mme Lemieux à la tête de la CCQ.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Lise Thériault (deuxième rangée à droite) admirait Louise Harel (première rangée à droite) pour son implication dans la communauté et son écoute des citoyens. Elles apparaissent sur notre photo avec Martine Bédard (première rangée) et Rita Dionne-Marsolais (deuxième rangée).

«Quand tu passes à travers le monde de la construction, t'es capable de tout. Lise est studieuse, travaillante et persévérante. Quand un gouvernement a besoin de courage, elle est toujours présente», ajoute Mme Lemieux.

À la FTQ-Construction, on a une autre perspective des événements; l'amertume y est palpable. On parle de la commission parlementaire au cours de laquelle la ministre a tenu tête au président de la FTQ et rabroué la FTQ-Construction pour les perturbations violentes dans les chantiers comme d'un «show politique organisé» pour «casser du sucre sur le dos des syndicats». «C'était n'importe quoi et surtout, de la désinformation», critique un dirigeant qui ne souhaite pas être identifié. «Ça me pue au nez», lance un autre.

De façon officielle, la FTQ-Construction ne souhaitait pas ressasser certains souvenirs. Le directeur général, Yves Ouellet, s'est borné à dire que les «relations avaient été houleuses».

Selon Lise Thériault, ce fut surtout la démonstration qu'elle fait de la politique avec ses «tripes». «Il y a des personnes dont j'ai dérangé le terrain de jeu. Mais je me suis fait beaucoup plus d'amis que d'ennemis», croit la ministre.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault