La condamnation à mort en Chine d'un ressortissant canadien de 36 ans accusé de trafic de drogue a encore fait monter d'un cran la tension entre Ottawa et Pékin, qui ne décolère pas depuis l'arrestation en décembre d'une dirigeante du géant des télécommunications Huawei.

La décision a été rapidement dénoncée par le premier ministre Justin Trudeau comme une mesure de représailles sans fondement juridique.

« C'est très inquiétant que la Chine commence à agir de façon arbitraire pour appliquer la peine de mort, surtout sur un Canadien. C'est quelque chose qui nous préoccupe énormément et que nous allons continuer de souligner avec nos alliés et évidemment avec la Chine », a-t-il prévenu.

Plusieurs observateurs attentifs du régime communiste chinois voient dans la peine imposée à Robert Lloyd Schellenberg une préoccupante dérive.

Pékin avait déjà suscité de vives condamnations avant Noël en annonçant l'arrestation de deux ressortissants canadiens soupçonnés d'avoir porté atteinte à la sécurité nationale.

« Les autorités chinoises envoient le message qu'elles n'éprouvent aucun remords à détenir et utiliser des étrangers comme des pions lorsqu'un de leurs propres ressortissants est détenu par un autre pays. » - Lynette Ong, spécialiste de la Chine rattachée à l'Université de Toronto

L'attitude de Pékin, prévient-elle, va avoir un impact « énorme » sur la réputation internationale du pays qui va perdurer pendant des années.

Retombées négatives sur l'image de la Chine à l'international

Guy Saint-Jacques, un ex-ambassadeur du Canada en Chine, relève dans la même veine que le comportement des autorités chinoises dans cette affaire suscite la consternation dans nombre de capitales occidentales et va contribuer à isoler le pays.

« Les manifestations de solidarité que l'on a vues depuis quelques semaines sont sans précédent. Les gens comprennent qu'ils pourraient être victimes eux-mêmes de tels comportements si rien n'est fait », a indiqué M. Saint-Jacques en entrevue.

L'ex-diplomate se dit convaincu que la sévérité de la peine retenue contre M. Schellenberg, qui avait été appréhendé en 2014, est dictée par le gouvernement et découle de sa volonté de faire pression sur Ottawa.

Le fait que l'annonce de la tenue d'un nouveau procès soit survenue dans la foulée de l'arrestation de la dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou, et que les autorités aient invité des journalistes étrangers à y assister témoignent de la volonté de Pékin de « montrer ce qui peut être fait aux Canadiens ».

« Il n'y a pas d'indépendance judiciaire en Chine. Dans beaucoup de cas, c'est le parti qui dicte sa volonté. Le parti est au-dessus de la loi. » - Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada en Chine

Selon l'Agence France-Presse, qui a pu assister hier à l'audience tenue à Dalian, dans le nord-est du pays, la justice chinoise reproche au ressortissant canadien d'avoir tenté d'orchestrer avec un réseau de trafiquants l'envoi de plus de 200 kg de méthamphétamine vers l'Australie.

10 jours pour faire appel de la peine

M. Schellenberg se dit innocent et prétend avoir été manipulé par un interprète véreux. « Je suis venu en Chine pour faire du tourisme », a-t-il plaidé en vain.

Le ressortissant de la Colombie-Britannique avait été condamné à 15 ans de prison à l'issue d'un premier procès terminé en novembre. Il a voulu porter sa cause en appel, mais la cour a statué contre lui en décembre en jugeant que la décision était trop clémente. La peine de mort a été retenue hier à l'issue d'un nouveau procès qui a duré moins d'une journée.

Dans un courriel envoyé à La Presse, la tante de l'homme de 36 ans, Lauri Nelson-Jones, qui vit au Maryland, a indiqué que la famille était « horrifiée » par la décision. 

« C'est atroce d'imaginer ce qu'il doit ressentir et penser. » - Lauri Nelson-Jones, tante de Robert Lloyd Schellenberg, dans un courriel à La Presse 

La loi chinoise lui donne 10 jours pour présenter un appel, note M. Saint-Jacques, qui juge la situation de M. Schellenberg extrêmement préoccupante.

Alors qu'il était en poste à Pékin, deux Canadiens d'origine chinoise ont été exécutés après avoir été accusés de trafic de drogue.

L'ex-premier ministre Stephen Harper avait directement écrit au président chinois Xi Jinping dans l'un des dossiers, mais la démarche n'avait rien donné, relate M. Saint-Jacques.

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Schellenberg déjà condamné pour des faits semblables

Robert Lloyd Schellenberg a déjà été condamné à au moins deux reprises au pays pour des actes en lien avec le trafic de drogue, a rapporté CBC hier. En 2003, il a reçu une peine de six mois de prison pour possession dans le but de trafic. Puis, en 2012, il a de nouveau purgé une peine en Colombie-Britannique pour trafic de drogue. À l'époque, le juge qui l'a envoyé derrière les barreaux pour 16 mois lui avait conseillé de ne pas prendre ces infractions à la légère et lui avait rappelé qu'il avait de la chance de vivre au Canada plutôt que d'être « pris au piège » dans un pays où les conditions de vie sont bien plus difficiles. « Vous êtes dans un des meilleurs endroits dans le monde où vivre », avait soutenu le juge Neill Brown, au moment de prononcer la sentence. M. Brown avait condamné M. Schellenberg pour possession de cocaïne et d'héroïne à des fins de trafic, ainsi que pour possession simple de résine de cannabis et de méthamphétamine. Au moment de sa condamnation, Robert Lloyd Schellenberg était aux prises avec des problèmes de dépendance. « Votre tâche consiste à vaincre votre dépendance et corriger votre vie. J'espère que c'est la dernière fois que vous comparaissez devant un tribunal », avait dit le juge à Schellenberg, en 2012.

- Marissa Groguhé, La Presse, avec CBC