L'afflux de demandeurs d'asile a fait exploser la facture de plusieurs contrats attribués par le gouvernement canadien. Un mandat de 58 000 $ accordé à une firme de sécurité à Lacolle a ainsi fini par coûter 4,8 millions de dollars, soit une hausse de 8200 % par rapport aux prévisions.

Selon des documents obtenus par La Presse, le Corps canadien des commissionnaires a largement bénéficié de la construction d'un camp d'accueil de migrants à Saint-Bernard-de-Lacolle, au sud de Montréal. C'est là que transitent les milliers de personnes qui pénètrent au Canada par un boisé du chemin Roxham, situé à quelques kilomètres de là.

L'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui a attribué le contrat original, a reconnu être obligée de revoir « régulièrement ses prévisions pour ajuster ses ressources aux pressions liées à l'afflux massif des arrivées des demandeurs d'asile » depuis l'an dernier.

À peine deux gardiens étaient nécessaires à Lacolle au moment où le contrat de 58 000 $ a été attribué en décembre 2016, a indiqué Judith Gadbois-St-Cyr, porte-parole de l'ASFC. Le nombre de demandeurs d'asile traversant la frontière canado-américaine s'est mis à grimper en flèche dans les mois suivants, alors que l'administration Trump a durci le ton dans le dossier de l'immigration aux États-Unis.

« Au plus fort de la situation de l'afflux des demandeurs d'asile, les besoins étaient de 30-35 commissionnaires [agents de sécurité] par quart de travail, a-t-elle précisé. Notez que depuis l'été 2017, les services étaient et sont toujours offerts sur la base d'un horaire de travail de sept jours par semaine, 24 heures par jour, et sont revus quotidiennement selon le niveau d'arrivées et le niveau de service requis. »

En vertu du type d'entente conclue avec le Corps canadien des commissionnaires, une société à but non lucratif, l'ASFC peut passer une nouvelle commande à l'agence de sécurité « dès qu'un nombre supplémentaire de ressources » est requis, a indiqué Mme Gadbois-St-Cyr. Ce type de contrat permet de répondre à des besoins « répétitifs » du gouvernement, a-t-elle ajouté.

Autres dépassements

Parmi les autres contrats fédéraux dont la valeur a fortement augmenté, on retrouve celui de 507 000 $ accordé à la firme Excel Prix, grossiste en alimentation en septembre 2017 pour fournir des repas aux demandeurs d'asile. Le contrat s'est en fin de compte élevé à 997 178 $, près du double du montant prévu au départ.

Deux contrats de moindre taille ont aussi doublé par rapport à leur valeur originale. Une entente conclue avec une société à numéros pour la location de mobilier de bureau est passée de 5653 $ à 10 590 $, et un autre mandat accordé à Ergocentric Seating Systems pour « 47 stations de travail » à Lacolle a bondi de 39 766 $ à 70 806 $, révèlent des documents obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

L'opposition bondit

La facture élevée associée à l'accueil des demandeurs d'asile et les différents exemples de dépassements de coûts font bondir le député Pierre Paul-Hus, porte-parole conservateur en matière de sécurité publique. Il a visité à plusieurs reprises le campement de Saint-Bernard-de-Lacolle au cours de la dernière année.

« On voit que les coûts sont exorbitants, pour un problème qui n'est pas encore réglé. »

- Pierre Paul-Hus, porte-parole conservateur en matière de sécurité publique, en entrevue à La Presse

Le Parti conservateur accuse le gouvernement Trudeau d'avoir perdu le contrôle dans le dossier des migrants, malgré un réinvestissement récent de 173 millions de dollars pour améliorer la sécurité à la frontière et accélérer le traitement des demandes d'asile. Ottawa estime au contraire que son plan « fonctionne ».

Selon les chiffres officiels de la GRC, le nombre de demandeurs d'asile qui franchissent la frontière canado-américaine par des points d'entrée irréguliers continue de grimper. Entre janvier et septembre de cette année, 15 726 individus ont été interceptés par la Gendarmerie royale du Canada (GRC), contre 15 102 pendant la même période l'an dernier. La vaste majorité de ces demandeurs d'asile - 95 % - ont abouti au Québec.

Les migrants qui arrivent par le chemin Roxham passent un bref moment au campement d'accueil de Saint-Bernard-de-Lacolle, où ils bénéficient entre autres des services médicaux d'employés de la Croix-Rouge. Ils sont ensuite redirigés vers d'autres ressources de la province, le temps que leur demande d'asile soit étudiée. Ce processus peut s'étirer sur plusieurs années.

Combien pour les campements ?

Il est impossible d'établir avec précision toutes les sommes investies jusqu'ici par Ottawa à Lacolle. L'imposant campement, constitué de dizaines de roulottes entourées d'une clôture, a vu sa taille augmenter graduellement au fur et à mesure que les arrivées de demandeurs d'asile s'intensifiaient.

Les dizaines de contrats attribués par l'ASFC relativement à ce campement totalisaient au départ 9,8 millions, mais leur valeur avait plutôt atteint 14,7 millions en date du 14 juin 2018, révèle la liste obtenue par La Presse. Une série d'autres organisations fédérales ont aussi attribué d'autres contrats, soit la GRC, Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) et Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).

Ces agences gouvernementales ont conclu des baux avec deux entreprises - Importations Guay Ltée et Groupe I.G.L. - pour la location de vastes terrains et de roulottes adjacents à l'Hôtel St-Bernard. L'établissement lui-même a déjà été loué par le gouvernement.

Ces deux sociétés, de même que l'hôtel, sont la propriété de Pierre Guay, qui n'a pas répondu à un message laissé à son intention, hier. Certains des baux signés par Ottawa ont été renouvelés jusqu'au 31 mai 2019.

Une porte-parole de SPAC a refusé de divulguer la valeur des contrats attribués aux entreprises de M. Guay depuis l'été 2017, « car il s'agit de renseignements commerciaux confidentiels provenant de tierces parties, soit les bailleurs ». Un seul contrat de 14 000 $ accordé par l'ASFC pour la location de roulottes à Importations Guay Ltée a pu être identifié grâce à notre demande d'accès à l'information.

- Avec la collaboration de William Leclerc

Photo Edouard Plante-Fréchette, Archives La Presse

Les migrants qui arrivent par le chemin Roxham passent un bref moment au campement d'accueil de Saint-Bernard-de-Lacolle, où ils bénéficient entre autres des services médicaux d'employés de la Croix-Rouge.

Quelques nombres

15 726*

Nombre de demandeurs d'asile interceptés en 2018

15 102*

Nombre de demandeurs d'asile interceptés en 2017

95 %

Portion de ces demandeurs d'asile qui sont arrivés par le Québec

* Données pour les mois de janvier à septembre. Il s'agit du nombre d'interceptions par la GRC entre les points d'entrée réguliers au Canada, par exemple les interceptions au chemin Roxham au Québec.