Le gouvernement Harper a discrètement entrepris une vaste enquête interne afin de mesurer l'ampleur exacte de la soif des divers ministères et organismes gouvernementaux pour les renseignements personnels des Canadiens, a appris La Presse.

Le Bureau du Conseil privé (BCP) - qui est en quelque sorte le ministère du premier ministre - a exigé que tous les ministères lui fournissent des détails sur le nombre de demandes de renseignements personnels qu'ils ont soumises aux diverses firmes de télécommunications ces trois dernières années.

Cette requête a été formulée la semaine dernière par le BCP dans la foulée des révélations du Commissariat à la vie privée selon lesquelles des ministères et des agences gouvernementales ont demandé aux sociétés de télécommunications de leur fournir des renseignements sur des clients près de 1,2 million de fois par année. Les entreprises ont acquiescé à ces demandes à près de 800 000 reprises.

Le BCP a soumis une liste de cinq questions à tous les ministères afin de dresser un portrait plus précis de ce phénomène que certains décrient comme une invasion de la vie privée par «Big Brother».

Qui a demandé quoi

Le BCP veut ainsi savoir quels ministères font de telles requêtes, en vertu de quelle autorité, le nombre de requêtes soumises par année depuis 2011, une ventilation des renseignements obtenus, à savoir s'il s'agit d'informations au sujet des clients seulement, des messages envoyés par les clients ou encore des enregistrements des conversations entre clients. Enfin, il demande combien les ministères ont payé les entreprises pour obtenir de tels renseignements. La Presse a pris connaissance de la requête envoyée mercredi dernier par le BCP.

«Nous souhaitons obtenir des réponses à toutes ces questions, à tout le moins la réponse à la première question (NDLR: Les ministères qui font des demandes de renseignements aux entreprises de télécommunications), avant 13 h aujourd'hui», peut-on lire dans la requête.

Les révélations de la commissaire par intérim à la vie privée, Chantale Bernier, la semaine dernière ont provoqué une vague d'indignation et d'inquiétude à la Chambre des communes. En mettant au jour cette situation, Mme Bernier a précisé que les chiffres obtenus sont partiels puisque seulement 9 des 30 entreprises de télécommunications du pays ont accepté de répondre à ses questions.

«Ces chiffres sont, en fait, peu révélateurs. C'est une agrégation sans détail. On ne sait pas combien de divulgations ont été faites sans mandat ou avec mandat. On ne sait pas quel genre d'information est transmise», a-t-elle indiqué.

Le chef du NPD Thomas Mulcair a soutenu que les données sollicitées par les ministères et agences sont «abominables et inexplicables». Il a du même souffle accusé le gouvernement conservateur d'être responsable de cette «invasion» de la vie privée de centaines de milliers de Canadiens.

«On est à une époque où toute pudeur est en train d'être perdue. L'idée même que les gens ont droit à une vie privée est en train de s'étioler. Il faut que le gouvernement commence à donner des réponses», a notamment déclaré M. Mulcair.

Aux Communes, le premier ministre Stephen Harper s'est défendu de diriger un gouvernement qui se comporte comme Big Brother. Il a fait valoir que ces demandes sont généralement formulées par des organismes d'enquête tels que la GRC ou l'Agence des services frontaliers après avoir obtenu un mandat des tribunaux. «Ce n'est pas le gouvernement qui cherche à obtenir de l'information, ce sont des organismes indépendants chargés de faire appliquer la loi», a affirmé M. Harper en réponse aux questions du chef du NPD.

M. Harper a aussi affirmé que le gouvernement «respecte les lois sur la protection de la vie privée». Mais l'enquête interne lancée la semaine dernière démontre que le gouvernement ne dispose pas d'un portrait si clair de la situation.