Plus que quiconque avant eux, les milléniaux n’ont pas l’intention d’être envahis par le travail. « C’est la génération qui tient mordicus à la conciliation travail-famille », analyse Jacques Hamel, sociologue spécialiste de la jeunesse et professeur émérite à l’Université de Montréal.

Maïté Blanchette Vézina, une jeune députée de 37 ans qui occupe le poste de ministre des Ressources naturelles et des Forêts, peut en témoigner. Quand elle arrive chez elle à Rimouski, dans le Bas-du-Fleuve, elle veut pouvoir se donner à 100 % avec ses enfants avec la même intensité qu’au travail à Québec.

« Le travail, c’est important. J’ai vu mes parents travailler fort toute leur vie et je veux travailler très fort aussi. Comme ministre, on a des horaires incroyables, mais je suis aussi disciplinée à dire non pour être présente en comté ou dans ma famille. C’est un travail de conciliation de tous les instants », dit-elle.

Méganne Perry Mélançon, 33 ans, députée de Gaspé de 2018 à 2022 et porte-parole nationale du Parti québécois, le constate à son tour : « On est obsédés par la question de la conciliation. »

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Méganne Perry Mélançon

Au Cercle des jeunes parlementaires, on discutait beaucoup de comment organiser le Parlement pour que les jeunes se sentent plus interpellés par le travail politique et qu’ils aient envie de le faire. […] Les jeunes, si on veut les attirer, ce n’est pas en leur disant qu’ils feront des semaines de 80 heures.

Méganne Perry Mélançon, députée de Gaspé de 2018 à 2022 et porte-parole nationale du Parti québécois

Tout récemment, l’Assemblée nationale a mis sur pied un projet pilote qui pourrait paraître anodin, mais qui est pourtant historique : la création d’une halte-garderie. Une demande pressante défendue par les jeunes élus.

« Je suis ce que je fais »

Étienne Fouquet, chargé de cours à l’Université de Sherbrooke, a fait sa thèse de doctorat sur ce qui motive les milléniaux à rester ou à quitter un emploi. En creusant le sujet, il a cerné ce qui différencie cette génération des précédentes : le travail est un enjeu identitaire.

« Je suis ce que je fais », résume-t-il, précisant qu’il existe moins de frontières de nos jours entre la vie personnelle et la vie au travail. Selon lui, cette proximité entre les deux explique en partie pourquoi les milléniaux changent plus souvent d’emploi.

Dans une entrevue qu’il a menée avec des travailleurs milléniaux, un jeune homme qui occupait un poste de gestion dans une petite organisation lui a raconté qu’il hésitait à garder son emploi après avoir lu sur Facebook des commentaires critiques face à son entreprise.

Quand les milléniaux ne se sentent pas bien ou si leurs besoins ne sont pas remplis, ils vont ailleurs, résume M. Fouquet.

Génération techno

« Pense internet, Paula. » Cette réplique qui a marqué les esprits de la série Les jeunes loups, servie par la nouvelle éditrice d’un tabloïd à la rédactrice en chef du journal, jouée par France Castel, résume le choc générationnel qui s’illustre sur le marché du travail. Les milléniaux, explique le sociologue Jacques Hamel, c’est la génération techno.

« La génération qui aura le plus contribué à imposer le télétravail, [ce sont les milléniaux]. Et ça fera boule de neige », analyse-t-il.

La ministre caquiste Maïté Blanchette Vézina ne se verrait pas travailler à titre de députée sans pouvoir compter sur un mode de travail hybride. Cette façon de faire, qui s’est imposée comme partout ailleurs depuis le début de la pandémie, a été rapidement adoptée (et appréciée) par les élus milléniaux.

Sur le marché du travail, le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard, 34 ans, voit sa génération comme étant celle qui fait le pont entre les plus vieux, les boomers, et les plus jeunes de la société.

« On est l’hybride entre les deux. On essaie d’être dans l’air du temps, mais on a été influencés par des modèles plus rigides », analyse-t-il. Cette observation concorde avec celles du chercheur Étienne Fouquet, selon qui des milléniaux qui atteignent des postes de pouvoir se comportent parfois comme ceux qui les ont précédés, même s’ils préféraient un autre style de gestion avant de monter dans les échelons.

Urgence d’agir

Profiter du moment présent, car on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve… Cette façon de penser résume en partie l’état d’esprit des milléniaux, une génération qui a vu venir les premières conséquences des changements climatiques et qui se mobilise pour changer le cours des choses.

Selon l’étude Être un jeune en 2023, réalisée par la firme Léger, les milléniaux « témoignent de leur déception face à une action jugée insuffisante de la part des gouvernements pour affronter les défis de leur époque ». Selon eux, ajoute-t-on, « le changement passe par les communautés de proximité et les gouvernements ».

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Guillaume Cliche-Rivard

La priorisation et l’importance de l’enjeu environnemental, on les vit et on les ressent.

Guillaume Cliche-Rivard, député solidaire de Saint-Henri–Sainte-Anne

Le sociologue Jacques Hamel observe le même phénomène. Après un courant politique qui a voulu réduire la taille de l’État, pour obtenir des gains d’efficacité, les milléniaux « se tournent vers la politique en se disant que le privé ne fera jamais ce que l’État est capable de faire ».

La libérale Marwah Rizqy, 38 ans, sent aussi que sa génération vit une urgence d’agir. « On n’a pas les deux pieds sur le pouf », illustre-t-elle.

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Marwah Rizqy

On voit ce qui s’en vient avec les changements climatiques, on comprend qu’il faut agir maintenant.

Marwah Rizqy, députée libérale de Saint-Laurent

« Sur d’autres sujets aussi. Avec les hypothèques et les taux d’intérêt, des amis sont devenus propriétaires récemment et ils doivent renégocier leur prêt, ils capotent. Il y a une urgence de trouver des solutions maintenant. Ça nous habite », affirme la députée de Saint-Laurent.