(Ottawa) Le Québec et l’Alberta peuvent faire une croix sur l’idée d’obtenir sans conditions une pleine compensation s’ils décident de se retirer du régime national d’assurance médicaments dont Ottawa a jeté les bases, jeudi, et qui permet aux libéraux de se maintenir au pouvoir avec l’appui du Nouveau Parti démocratique (NPD).

Le projet de loi C-64 prévoit que le financement est conditionnel à la signature d’accords bilatéraux qui élargissent la couverture existante d’un régime d’assurance médicaments public touchant des médicaments sur ordonnance et des produits connexes destinés à la contraception ou au traitement du diabète.

Ces accords devront aussi prévoir « une couverture universelle au premier dollar à payeur unique ». Cela signifie que l’accès soit offert de façon égale à tous les résidants et que les coûts soient entièrement couverts par le gouvernement, et non par un régime privé.

En conférence de presse, le ministre de la Santé, Mark Holland, a insisté que ce ne sont « pas des conditions », mais bien « un but commun » et qu’il fera preuve de « beaucoup de flexibilité » sur la façon de l’atteindre.

D’ailleurs, la santé ne devrait pas faire l’objet de débats de « juridictions », a-t-il dit. Il a noté au passage que le gouvernement fédéral doit s’assurer du respect de la Loi canadienne sur la santé.

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Le ministre canadien de la Santé, Mark Holland

Le gouvernement du Québec ne l’entend pas ainsi et assure qu’il va « défendre » ses champs de compétence prévus par la Constitution.

Tout comme l’Alberta, il souhaite se retirer du programme fédéral et obtenir une pleine compensation financière afin d’investir cette somme dans son régime d’assurance médicaments existant.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a quant à lui jugé que puisque les libéraux ne permettent pas au Québec de se retirer avec l’argent, ils « brisent une condition fondamentale de l’entente » et que les néo-démocrates devraient donc faire modifier le projet de loi ou retirer leur appui au gouvernement.

Or, le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, a indiqué en début de semaine que le droit de retrait est un élément du programme de son parti « depuis longtemps » et que cela a « fait partie des discussions » avec le gouvernement libéral, mais il n’a jamais indiqué si une disposition à cet effet sera enchâssée dans le projet de loi.

Le chef conservateur, Pierre Poilievre, a indiqué jeudi qu’il croit que toutes les provinces et territoires « devraient pouvoir se retirer » du régime.

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Le chef conservateur, Pierre Poilievre

Si les provinces devaient se retirer du régime national, cela pourrait compromettre certaines des économies potentielles que le Canada s’attendrait à réaliser grâce à l’achat en gros de médicaments, a déclaré le porte-parole néo-démocrate en matière de santé, Don Davies.

« La Nouvelle-Zélande estime qu’elle économise 40 % sur le coût des médicaments en ayant un système unique d’achat en gros. Ainsi, il a été estimé que travailler à la mise en place d’un système d’achat en gros beaucoup plus efficace, robuste, national et complet nous permettrait d’économiser des milliards de dollars », a-t-il noté.

« Un jour historique »

Le projet de loi sur l’assurance médicaments déposé en matinée a été présenté comme un premier jalon en vue de remplir l’engagement d’établir un régime universel et national d’assurance médicaments.

D’ici là, la pièce législative prévoit que le gouvernement offrira une couverture universelle à payeur unique pour une gamme de contraceptifs et de médicaments contre le diabète au moyen d’ententes avec les provinces.

En conférence de presse, M. Holland a estimé que ce programme coûtera approximativement 1,5 milliard. Il a insisté que cette estimation risque de changer au cours de ses discussions avec les provinces.

« Il s’agit d’une opportunité de valider le principe pour essayer [de fournir] deux médicaments sur un modèle universel à payeur unique, a déclaré M. Holland. Nous aurons l’occasion d’évaluer l’efficacité de ce modèle. »

M. Davies, qui comme d’autres a parlé d’un jour « historique », a expliqué qu’un programme national d’assurance médicaments est « un rêve » qui a débuté avec Tommy Douglas, le premier chef de son parti et celui qui est reconnu comme le père du système universel de soins de santé au Canada.

L’idée, a-t-il résumé, est que les Canadiens devraient avoir accès aux médicaments dont ils ont besoin « avec leur carte de santé et non leur carte de crédit », sans compter que cela permettra au pays d’épargner « des milliards » chaque année en achetant en gros.

Son chef, Jagmeet Singh, a affirmé que ce projet de loi n’est pas arrivé par enchantement, mais bien grâce aux batailles acharnées de sa formation qui a « forcé le gouvernement à le faire ».

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Le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh

Il a aussi décoché des flèches contre les « 30 ans de promesses brisées » des libéraux sur le sujet, mais surtout contre le chef conservateur Pierre Poilievre qui, par ses réticences passées, dit à ceux qui ont besoin de ces médicaments qu’ils « n’en valent pas la peine ».

À ce sujet, M. Poilievre a évité de se prononcer pour ou contre le projet lui-même durant un point de presse de près de 25 minutes où il n’a répondu aux questions que durant cinq minutes.

Il a cependant mentionné qu’il « verra » ce que « va livrer » cette promesse de ce qu’il a qualifié de « gouvernement néo-démocrate-libéral », au-delà des « des belles paroles, des photo up et des ententes entre deux politiciens incompétents ».

Les libéraux « ont promis un grand programme de 80 milliards pour rendre le logement abordable, et Justin Trudeau a doublé le coût du logement », a-t-il dit.

L’avenir de l’assurance médicaments semblait incertain au début de février, après une impasse de plusieurs mois entre les libéraux et les néo-démocrates sur le libellé du projet de loi et sur le nombre de médicaments qui seraient couverts au début.

Le NPD a finalement annoncé la conclusion des négociations à la fin de la semaine dernière, à l’approche de la date limite négociée du 1er mars pour le dépôt d’un projet de loi.

La réticence des libéraux était en grande partie liée aux coûts du programme. Un régime complet d’assurance médicaments coûterait au gouvernement fédéral près de 40 milliards par année une fois qu’il serait pleinement opérationnel, a estimé le directeur parlementaire du budget.

Le projet de loi prévoit que la couverture universelle constitue un principe fondamental qui doit guider la mise en œuvre d’un futur programme d’assurance médicaments.

Il demande au ministre de constituer un comité d’experts chargé de faire des recommandations sur la manière de financer un régime national, universel et à payeur unique dans les 30 jours suivant la sanction royale de la loi.

En plus de la liste initiale de médicaments, le projet de loi établit plusieurs prochaines étapes et échéances destinées à pousser le gouvernement vers un plan d’assurance médicaments plus large.

Ces mesures consistent notamment à demander à la nouvelle Agence canadienne des médicaments d’élaborer une liste de médicaments essentiels dans l’année suivant la sanction royale, ce qui indiquerait quels médicaments seraient couverts à l’avenir.

Avec des informations de Laura Osman et d’Émilie Bergeron