(Québec) Le Protecteur du citoyen a mis en garde la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) dans les mois précédents son virage numérique, qui s’est avéré un fiasco, de l’aveu même du gouvernement Legault. En janvier, la SAAQ assurait que « tout avait été prévu pour une transition réussie ».

C’est l’un des constats du Protecteur du citoyen, qui a déposé jeudi son rapport annuel d’activités. On y apprend que ses équipes ont rencontré à plusieurs reprises celles de la SAAQ au cours de l’été et de l’automne, mais aussi le 26 janvier – moment où la majorité des services de la SAAQ ont été suspendus.

« C’était vraiment [une rencontre] de haut niveau », a relaté jeudi le protecteur du citoyen, Marc-André Dowd, en faisait référence à la réunion de janvier. « On a abordé des préoccupations liées à la gestion de la transition, on a aussi parlé de la notion de goulots d’étranglement. Du fait que de l’arrêt des services, les demandes allaient s’accumuler », a-t-il expliqué en conférence de presse.

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Marc-André Dowd

Dans son rapport, le Protecteur a écrit qu’il était « préoccupé [des] répercussions de la transition vers SAAQclic » et qu’il y voyait là « une étape charnière ». « L’organisme avait répondu que tout avait été prévu pour une transition réussie. La réalité a plutôt prouvé le contraire », ajoute-t-on. Selon M. Dowd, le ton de la rencontre avec la SAAQ était « rassurant ».

Ce qui m’était présenté, c’était rassurant, donc je n’avais pas raison de m’inquiéter. On soulevait des préoccupations, on nous répondait qu’on avait considéré ça.

Marc-André Dowd, protecteur du citoyen

Après enquête, le chien de garde conclut que la SAAQ a « sous-estimé les conséquences de la suspension de la majorité des services du 26 janvier au 19 février 2023 et de l’accumulation des transactions laissées en suspens ». Il note par ailleurs que « la mise en ligne de SAAQclic et l’utilisation du nouveau Service d’identification gouvernementale ont connu leur lot de problèmes ».

Les citoyens ont donc eu « massivement » recours au téléphone ou se sont rendus directement dans un point de service. Encore là, la SAAQ a « sous-évalué la demande » et n’a pas « été en mesure d’y répondre ».

Cinquante plaintes par mois

Le Protecteur souligne également que de « nombreux citoyens insatisfaits se sont tournés » vers lui pour « régler leur dossier et obtenir des services qui leur étaient indispensables ». Le volume a atteint jusqu’à 50 plaintes citoyennes par mois au début de l’année, a affirmé le vice-protecteur Intégrité publique, services aux usagers et mandats spéciaux, Claude Dussault.

« La période de février a été une période particulièrement problématique puis [la SAAQ n’a] pas encore fini de régler ces dossiers-là, il en reste encore quelques-uns », a-t-il souligné.

Parmi les « cas vécus » rapportés par le Protecteur, il y a celui d’un citoyen qui se présente à la SAAQ en janvier 2023 pour obtenir un permis de conduire. Il paie les frais, fait prendre sa photo. Le lendemain, la SAAQ l’informe qu’il y a un problème de paiement. La transaction apparaît pourtant dans son compte bancaire. Il devra s’absenter à deux reprises de son travail pour tenter de régler le problème.

La SAAQ demeure incapable de délivrer son permis. On lui délivre un permis temporaire valide jusqu’à la mi-mars. À l’expiration de celui-ci, l’homme n’a toujours pas reçu son permis de conduire. Or, il a besoin de sa voiture pour travailler. Il finit par faire appel au Protecteur du citoyen, qui a constaté que le problème n’était pas lié au paiement, mais à une « anomalie » due à l’implantation du système informatique.

L’intervention du Protecteur est toujours en cours, écrit-on. D’ailleurs, le chien de garde continue de suivre « l’évolution de la situation puisqu’il devrait s’écouler plusieurs mois avant un retour à la normale ».

Ratés informatiques : un « classique »

Le protecteur explique avoir manifesté ses préoccupations à la SAAQ puisque les ratés lors d’un virage informatique sont « un classique ». M. Dussault explique qu’il y a « souvent une baisse de performance » pendant la transition. Les plaintes font « régulièrement ressortir le fait que l’implantation et la mise à jour des services informatiques des ministères […] peuvent engendrer des problèmes pour les citoyens », écrit-on.

Le protecteur du citoyen salue néanmoins l’intervention de la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, qui a déployé des mesures d’atténuation « même si cela s’est fait tardivement ».

La firme PricewaterhouseCoopers, qui a passé aussi au crible les ratés de la transformation numérique à la SAAQ, a conclu que cette dernière a « sous-estimé » la charge de travail et l’impact de sa transition numérique. Ce virage raté a plongé le gouvernement Legault dans l’embarras. Le PDG de la SAAQ, Denis Marsolais, a été dégommé pour être remplacé par Éric Ducharme, qui était jusque-là secrétaire du Conseil du trésor.

SQ : cas « grave » de mauvaise gestion

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L’enquête du Protecteur du citoyen a confirmé que des autorités à la Sûreté du Québec (SQ) « ont contourné les règles » lors d’attribution de postes et promotions pour favoriser « des personnes de leur choix ». La preuve recueillie démontre qu’en 2015, la SQ a modifié sa politique de dotation et « a abaissé certaines exigences rattachées aux postes de gestion ». Elle a également « mis en place des intérims fréquents et de durée excessive ». Ces mesures « ont favorisé des gestionnaires qui ne possédaient pas toujours les compétences requises ». Cette enquête a fait suite aux révélations du Journal de Montréal sur des processus de nominations bidon. Le Protecteur a adressé sept recommandations à la SQ, qui les a toutes acceptées.

En cellule pendant 36 heures

Les services correctionnels composent avec un « manque aigu » de personnel, ce qui a des « conséquences directes » sur les détenus. Certains ont été jusqu’à 36 heures sans quitter leur cellule. Un poste d’agent correctionnel sur cinq n’est pas pourvu dans les prisons du Québec. « Des personnes sont demeurées dans leur cellule pour des périodes prolongées au seul motif qu’on manquait de personnel », peut-on lire. Selon une directive du ministère de la Sécurité publique (MSP), toute personne incarcérée devrait se voir accorder un minium quotidien de deux heures à l’extérieur de sa cellule. Le Protecteur demande à Québec d’encadrer par voie réglementaire l’isolement administratif. Le projet d’instruction provinciale sur la mise en isolement du MSP « n’est toujours pas satisfaisant ».

Santé et DPJ : effets pervers de la pénurie

La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et les milieux d’hébergement pour aînés ont été particulièrement touchés par un exode de travailleurs, note le Protecteur du citoyen. À la DPJ, le protecteur constate l’« augmentation du recours aux agences de placement de main-d’œuvre ». Dans les CHSLD, des proches de personnes hébergées ont déploré que la qualité des services donnés par les préposés aux bénéficiaires formés dans le cadre de la formation accélérée instaurée par le gouvernement Legault n’égale pas celle de leurs collèges plus expérimentés. Sans documenter ces plaintes, le Protecteur rappelle que « le souci de la qualité des soins et des services doit demeurer une préoccupation constante » malgré la pénurie de personnel.

« Phénomène d’itinérance » chez les aînés

Devant les délais d’attente pour obtenir une place en hébergement, comme en CHSLD, le Protecteur du citoyen constate que « certains transferts » d’un milieu à l’autre « tendent à créer un nouveau phénomène d’itinérance chez les personnes en perte d’autonomie ». M. Dowd explique cela par « des déménagements successifs » dans des ressources « qui ne correspondent pas au choix de la personne » en attente. « C’est qu’il n’y a pas de perspective à court terme ou à terme d’avoir accès à un lieu d’hébergement de son choix », illustre-t-il. Un facteur qui contribue à ce « phénomène » est le manque de places en CHSLD alors qu’en date du 12 août quelque 4500 personnes étaient en attente d’une place.

Abus : pas les bons outils à la SHQ

Le Protecteur déplore que la Société d’habitation du Québec (SHQ) n’ait pas encore à ce jour les outils nécessaires pour mettre fin à des situations d’abus, de maltraitance, d’intimidation et de harcèlement au sein d’organismes partenaires d’habitation, malgré les changements législatifs apportés en 2019. Le Protecteur constatait dès 2021 l’absence d’encadrement du traitement de ce type de dénonciation par la SHQ. Il recommande à la ministre de l’Habitation de mettre en place d’ici le 31 décembre un bureau d’enquête – qui serait sous sa responsabilité – pour traiter ces plaintes. Les réponses obtenues jusqu’à présent ne répondent pas aux préoccupations du Protecteur du citoyen.