Québec met fin aux « alertes bébés », qui consistaient à signaler à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) un poupon à naître dans un milieu présumé à haut risque de maltraitance. La pratique, jugée discriminatoire, est remplacée par un programme de prévention.

Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a confirmé vendredi l’abolition des signalements à la naissance. Une directive interne a été transmise au réseau de la santé et des services sociaux à cet égard.

Une personne inquiète pour un enfant à naître pouvait jusqu’ici alerter la DPJ afin que les établissements accoucheurs puissent exercer une vigilance accrue après la naissance et signaler la situation, au besoin. Or, cette pratique a été jugée discriminatoire envers certains groupes qui se retrouvaient surreprésentés dans le système de protection de la jeunesse.

Dans un reportage de La Presse publié en 2021, des femmes autochtones racontaient avoir accouché dans l’angoisse qu’on leur arrache leur bébé des bras. Elles réclamaient l’abolition des « alertes bébés », qui entraînaient des situations « inhumaines » et « traumatisantes ».

Précisons que lorsque la sécurité et le développement de l’enfant semblent compromis, l’obligation de le signaler demeure après la naissance du poupon.

L’ancien mécanisme est remplacé par la « mise en œuvre d’un plan de services préventifs et intensifs en période prénatale », dont les détails n’ont pas été précisés. « Ce dernier permet d’assurer un encadrement resserré et proactif dès la grossesse lorsqu’un enfant est susceptible de naître dans un contexte familial à haut risque de maltraitance », indique le communiqué de presse.

On ne détaille pas non plus à qui incombera cette nouvelle responsabilité, bien que l’annonce fasse mention d’« intervenants de première ligne » et d’« organismes de la communauté ». Selon le ministre Lionel Carmant, ces professionnels « demeurent les mieux placées pour orienter les parents vers les ressources nécessaires et offrir une prise en charge précoce dont bénéficieront les parents, mais également l’enfant à naître ».

Un ministre « très évasif »

Dans les bancs des partis de l’opposition, les réactions sont en demi-teinte. « C’est une décision qui peut permettre de lutter contre une forme de discrimination systémique, et ça, je le salue. Il y a des communautés qui ont peur de la DPJ, ça a été dénoncé et il faut prendre des moyens concrets pour lutter contre ça », affirme d’emblée la solidaire Christine Labrie.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La critique de Québec solidaire en matière de services sociaux, Christine Labrie

Mais elle apporte des nuances. « Là où je suis inquiète par rapport à l’annonce d’aujourd’hui, c’est qu’on n’a aucun détail sur comment le gouvernement va faire pour agir en prévention, et qui va le faire. »

« En ce moment, on entend du réseau de la DPJ qu’ils ont à peine la capacité d’éteindre des feux, et qu’ils ne sont pas du tout équipés pour faire de la prévention. Et dans le milieu communautaire, qu’on semble vouloir impliquer, ils sont tout autant sous-financés pour faire de la prévention. Le plan du ministre est très évasif, on n’a pas de réponses », poursuit la députée de Sherbrooke.

Même son de cloche au Parti québécois. « Le nouveau programme de prévention doit être rigoureux et le gouvernement doit s’assurer qu’il y ait suffisamment d’intervenants formés et disponibles pour répondre aux demandes pour bien accompagner les parents et les enfants », affirme le député Joël Arseneau.

À l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), la vice-présidente Josée Fréchette se dit « préoccupée par la fin des alertes bébés à naître ». « Notre organisation demeurera vigilante. Il ne faut jamais perdre de vue que l’ensemble des interventions en protection de la jeunesse doivent servir les intérêts de l’enfant avant tout », soutient-elle.

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