(Ottawa) « Avez-vous parfois l’impression que tout est brisé au Canada ? » Pierre Poilievre pose la question – rhétorique – dans une vidéo à l’ambiance lugubre publiée il y a un peu plus d’une semaine sur les réseaux sociaux.

Installé sur une plage à Vancouver, le chef conservateur fournit un diagnostic sur ce qu’il identifie comme l’une des défaillances canadiennes : la crise des opioïdes. Si elle frappe aussi fort, c’est à cause des libéraux à Ottawa et des néo-démocrates à Victoria, dit-il.

L’« expérience ratée » est attribuable à la « politique du gouvernement woke libéral et du NPD » qui consiste à « inonder nos rues de ces poisons que sont les drogues payées par les contribuables », explique le politicien.

Il fait référence aux politiques d’approvisionnement plus sécuritaire en drogues illicites. Et ce laboratoire doit fermer, argue Pierre Poilievre, déplorant l’explosion de 300 % des morts par surdose dans la province depuis l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau.

Cette vidéo de cinq minutes colle avec l’approche de l’ancien gouvernement de Stephen Harper en matière de toxicomanie. Davantage de répression, plus de peines criminelles, plus de contrôles aux frontières, moins de sites d’injection supervisée.

Cette approche a malgré tout été critiquée par des gens censés être dans son camp, dont Benjamin Perrin, ancien proche collaborateur de Stephen Harper qui est désormais professeur de droit à l’Université de Colombie-Britannique.

« Je suis dégoûté, a-t-il affirmé au Globe and Mail. Cette diatribe n’est basée sur aucune preuve de recherche […]. On a juste M. Poilievre qui ressasse des clichés conservateurs […] discrédités depuis longtemps [en plus] d’être inefficaces et mortels ».

L’avis de trois spécialistes en toxicomanie

« N’importe quoi »

Professeur agrégé d’inadaptation psychosociale et de toxicomanie à l’Université de Montréal, Jean-Sébastien Fallu ne sait « pas par où commencer » lorsqu’on lui demande de détricoter la vidéo de Pierre Poilievre, du « n’importe quoi ».

« C’est vrai qu’il n’y a pas de substance sécuritaire. Mais entre un médicament contrôlé, prescrit par un médecin pour remplacer des substances qu’on retrouve sur la rue, il n’y a pas de débat à savoir ce qui est le plus safe », plaide-t-il.

Plaidant que l’approche de la lutte contre la drogue a été mise à l’épreuve et que cela a « créé un monstre », celui qui est en faveur de la légalisation de toutes les drogues accuse le politicien de véhiculer des chiffres trompeurs sur la mortalité.

« Il y a eu la pandémie. Il y avait de l’héroïne, là, il n’y en a pratiquement plus. Il y a plus de gens qui sont dans la misère, dans la rue. Bref, on ne peut pas juste attribuer ça à ce que Justin Trudeau a fait. C’est de l’analyse de bas étage », martèle-t-il.

« Non-sens »

Le professeur de criminologie Eugene Oscapella, expert en statut juridique des drogues, n’a pas non plus été impressionné par le message de Pierre Poilievre : « C’est du non-sens, c’est une vidéo de propagande politique et ses commentaires ne sont pas nouveaux. »

« Des milliers de personnes vont mourir au Canada à cause d’un approvisionnement de drogues empoisonné cette année. Ce qu’il propose ne va rien faire pour réduire le risque de décès », regrette-t-il.

Approvisionnement c. traitement

Là où la Dre Marie-Ève Morin rejoint Pierre Poilievre (sur le plan médical, insiste-t-elle en entrevue), c’est sur l’importance d’offrir un traitement à ceux qui sont aux prises avec une dépendance.

« Pour la dépendance aux opioïdes, on a deux traitements extrêmement efficaces, la méthadone et la buprénorphine », souligne la médecin généraliste qui œuvre en santé mentale et en dépendance à la clinique montréalaise La Licorne.

La deuxième molécule, en particulier, est « exceptionnelle », car ses effets secondaires sont moins pénibles que la première, juge-t-elle. Et puisqu’il y a un traitement, pourquoi aller vers l’approvisionnement plus sécuritaire ?

« Le safer supply, c’est fournir de l’héroïne, du fentanyl ou de la morphine aux gens pour éviter qu’ils tombent sur du mauvais stock dans la rue, dit-elle. Mais depuis quand les opioïdes sont-ils sécuritaires ? »

« Il n’y a pas assez de médecins qui prescrivent la buprénorphine », tranche la Dre Morin. La dépendance aux opioïdes comme celle à d’autres substances, rappelle-t-elle, est une « maladie systémique et multifactorielle » qui touche environ 20 % de la population.