Pendant des années, elle aura été la conseillère discrète, qui avait accepté que la vie de son mari soit envahie par la politique. Andrée Simard s’est éteinte hier, à 90 ans, 26 ans après le premier ministre Robert Bourassa.

« Elle était sa principale conseillère », s’est souvenu lundi Ronald Poupart, dans l’orbite de l’ex-premier ministre pendant des années. Vétérans libéraux comme anciens politiciens, tous s’entendent ; elle était davantage nationaliste que son mari. Sur la question linguistique, en matière de culture, elle avait des opinions fermes, qu’elle ne dévoilait qu’à un cercle très restreint de connaissances. Elle n’est jamais intervenue sur la place publique.

« Après l’échec de Meech, je me souviens d’une rencontre avec M. Bourassa à la maison sur Maplewood. Elle devait sortir, mais avant de partir, elle avait dit à son mari : “Écoute ce qu’il va te dire, c’est bien bon !” », s’est rappelé Michel Bissonnette. Aujourd’hui vice-président de Radio-Canada, il incarnait à l’époque, comme leader des jeunes du Parti libéral du Québec, le courant très nettement nationaliste que M. Bourassa tentait avec peine de modérer. Une partie d’entre eux allaient d’ailleurs claquer la porte du PLQ quelque semaines plus tard, avec Mario Dumont à leur tête. « Le nationalisme d’Andrée Simard était plus fort que celui de Robert », a rappelé Raymond Garneau, ministre des Finances de Bourassa entre 1970 et 1976. « Mais elle jouait toujours son rôle avec dignité et discrétion », a-t-il ajouté.

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Andrée Simard avec ses enfants Michelle Bourassa (à gauche) et François Bourassa (à droite), en 1999

« C’était une bonne amie, on était souvent ensemble, dans les évènements officiels et à différentes occasions », a souligné Lise Bacon, appui indéfectible de Robert Bourassa. L’ex-ministre libérale de la Culture se souvient bien de l’intérêt et de la sensibilité de Mme Simard pour les questions culturelles. Un exemple ? « Je me souviens qu’à une époque, elle était bien inquiète quant à l’avenir des conservatoires qui connaissaient des problèmes. Elle voulait que cela fonctionne », observe Mme Bacon.

« C’était quelqu’un de très informé de l’actualité politique, mais qui n’était pas doctrinaire. Elle donnait son opinion, son jugement était toujours solide et M. Bourassa aimait discuter avec elle », se souvient Jean-Claude Rivest, alter ego du regretté premier ministre. Dans la mouvance du Mouvement Souveraineté-Association, René Lévesque et quelques proches étaient les bienvenus pour discuter dans le sous-sol des Bourassa à Outremont. « Elle avait toujours eu beaucoup de respect pour René Lévesque », ajoute M. Rivest.

« Je l’ai connue dans les années 1960, elle souhaitait ardemment que le Québec ait davantage de pouvoirs sans être nécessairement indépendantiste », résume Ronald Poupart. « Elle était nationaliste, surtout sur la question du fait français », ajoute Pierre Bibeau, organisateur libéral de longue date.

« Toujours à ses côtés »

En 1988, dans le débat linguistique sur la langue d’affichage, Robert Bourassa est déchiré, conscient que sa décision de recourir à la disposition de dérogation susciterait le naufrage de l’entente du lac Meech. Mais Andrée Simard n’était pas si tourmentée, elle était totalement en faveur de la décision, « et dans ces moments importants, elle était toujours à ses côtés, à l’Assemblée nationale, à Meech comme au moment de sa défaite en 1976 », se souvient M. Poupart.

Elle avait accepté un peu à contrecœur le retour en politique de son mari, comme chef libéral en 1983. Après sa réélection en 1985, elle souhaitait qu’il se contente d’un seul mandat ; mais il décida de se représenter en 1989. De 1985 à 1994, elle se fera d’une extrême discrétion en public, se rendant encore plus discrète que dans les années 1970.

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Robert Bourassa et Andrée Simard en 1971

C’était un couple « normal » qui pouvait avoir ses différends, mais en rentrant à Montréal après une semaine de session, le jeudi soir, Robert Bourassa faisait régulièrement un crochet vers un restaurant de la Grande Allée pour lui rapporter une lasagne qu’elle appréciait, racontait hier l’entourage.

Andrée Simard avait, il faut le dire, été échaudée par la politique. « Andrée avait été terrorisée et peinée par la violence des propos qu’on tenait dans l’arène politique », a écrit le regretté Georges-Hébert Germain dans sa biographie de Robert Bourassa. Sa famille richissime de Sorel avait été égratignée quand une entreprise associée, Paragon, avait obtenu des contrats pour la production de formulaires gouvernementaux. Les Simard avaient fait une immense fortune dans la construction de navires, de canons et de chars d’assaut, pour l’armée canadienne, durant la Seconde Guerre mondiale. « M. Bourassa avait la couenne dure, mais elle n’était pas habituée à la controverse », résume Pierre Bibeau.

Elle avait rencontré Robert Bourassa à l’Université de Montréal où elle étudiait en pédagogie familiale. Ils se marieront en août 1958 et auront deux enfants, François, musicien de jazz bien connu, et Michelle, spécialiste de l’aménagement paysagiste. À son 90e anniversaire, fin octobre, Andrée Bourassa avait encore bon pied bon œil. Elle conduisait toujours son auto et vivait dans son appartement, au Sanctuaire.