(Ottawa) Le plan des forces de l’ordre le 13 février pour mettre fin au « convoi de la liberté » à Ottawa « n’en était pas un », selon le premier ministre Justin Trudeau. Sa confiance envers la police était ébranlée et il estimait alors que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence était la seule solution pour mettre fin aux convois de camions qui s’étaient multipliés un peu partout au pays.

M. Trudeau était le dernier témoin à répondre aux questions de la Commission sur l’état d’urgence vendredi. Son témoignage s’est déroulé sous haute sécurité, mais il n’y a pas eu de débordements à l’exception de quelques rappels à l’ordre du juge Paul Rouleau pour le respect du décorum.

Le premier ministre a affirmé ne pas avoir pris cette décision à la légère lorsque la recommandation de la cheffe de la fonction publique, Janice Charette, est arrivée sur son bureau le 14 février.

« Je suis absolument serein et confiant d’avoir fait le bon choix », a-t-il soutenu.

Il y avait alors consensus parmi les membres du Groupe d’intervention en cas d’incident et du Cabinet. L’idée d’accorder des pouvoirs extraordinaires aux autorités par d’autres moyens législatifs avait été envisagée, mais le processus aurait été trop long. Il a indiqué s’être accordé un moment de réflexion avant de prendre sa décision.

« Et si, quand j’avais l’opportunité de faire quelque chose, j’avais attendu et que l’impensable s’était produit dans les jours suivants ? », a-t-il dit. Il craignait que des gens ou des policiers ne soient blessés.

Un plan jugé incomplet

Des centaines de poids lourds paralysaient alors le centre-ville d’Ottawa depuis un peu plus de deux semaines. D’autres bloquaient plusieurs postes frontaliers, dont celui du pont Ambassador à Windsor, en Ontario, et de Coutts, en Alberta.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC), la Police provinciale de l’Ontario (PPO) et la police d’Ottawa avaient élaboré un plan de 73 pages pour mettre fin à la manifestation dans la capitale fédérale la veille de la déclaration de l'état d’urgence, mais le premier ministre, qui en avait obtenu un compte rendu, le jugeait incomplet.

« Nous n’arrêtions pas d’entendre qu’il y avait un plan », a-t-il dit en ajoutant que rien ne se passait ensuite.

Le document présenté en preuve par l’avocate de la police d’Ottawa, Jessica Barrow, est daté du 13 février, mais le plan final qui a mené à la vaste opération policière pour mettre fin au « convoi de la liberté » a plutôt été terminé le 17 février.

Menace à la sécurité nationale ?

Le premier ministre estimait également que les convois de camions à Ottawa et ailleurs au pays constituaient une menace à la sécurité nationale même si cela ne correspondait pas à la définition inscrite dans la loi. Le gouvernement a toutefois refusé de soumettre l’avis juridique à la Commission, invoquant le secret professionnel.

M. Trudeau a noté qu’un véhicule avait été utilisé pour foncer dans un barrage policier à Coutts, en Alberta, et que la GRC avait rapporté la présence d’une cache d’armes à cet endroit. Il a également noté qu’à Ottawa, une trentaine de policiers qui avaient tenté de faire appliquer la loi en saisissant des bidons d’essence avaient été rapidement entourés par une centaine de manifestants et que des enfants étaient « utilisés comme boucliers humains » pour empêcher les forces de l’ordre d’intervenir dans plusieurs villes.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) avait également avisé le gouvernement que des gens parmi les manifestants faisaient la promotion de violence politique qui avait le potentiel de pousser un « loup solitaire » à agir.

Les choses n’étaient pas en train de s’améliorer, elles empiraient.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Et même si les forces de l’ordre avaient mis fin aux blocages de Coutts et du pont Ambassador le matin du 14 février, des manifestants se préparaient à d’autres blocages en Ontario, en Colombie-Britannique et au Québec.

La Loi sur les mesures d’urgence définit plutôt une menace à la sécurité nationale comme de l’espionnage et du sabotage, de l’ingérence étrangère, l’usage de violence grave et des activités qui visent à renverser le gouvernement. Il s’agit de la même définition qui encadre le travail du SCRS lorsqu’il doit, par exemple, justifier de recourir à de l’écoute électronique.

M. Trudeau a défendu une interprétation plus large de menace à la sécurité nationale comme l’avaient fait les ministres, les hauts fonctionnaires du gouvernement et le directeur du SCRS, David Vigneault, lors de leurs témoignages à la Commission.

Mais lorsque l’avocate de l’Association canadienne des libertés civiles, Ewa Krajewska, lui a demandé si le seuil pour recourir à la Loi sur les mesures d’urgence devrait être le même que celui du SCRS, il a répondu par l’affirmative.

L’enquête publique menée par le juge Paul Rouleau vise à déterminer si le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin au « convoi de la liberté » et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays était justifié. Il entend remettre son rapport au Cabinet le 6 février ; il doit ensuite être déposé au Parlement au plus tard le 20 février 2023.

En savoir plus
  • 76
    Nombre total de témoins entendus
    source : Commission sur l’état d’urgence
  • 7000
    Nombre de documents reçus en preuve
    source : commission sur l’état d’urgence