(Ottawa) Le ministre de la Justice et Procureur général du Canada, David Lametti, a évoqué le recours à la Loi sur les mesures d’urgence deux jours après l’arrivée du « convoi de la liberté » à Ottawa. Il a également incité le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, à faire pression sur la police pour qu’elle mette fin à la manifestation et même suggéré d’appeler l’armée.

Des échanges de textos présentés en preuve à la Commission sur l’état d’urgence mercredi donnent un nouvel éclairage sur les conversations en coulisse au sein du gouvernement.

« Avons-nous un [plan de] contingence pour que ces camions soient enlevés demain ou mardi ? (S’ils étaient noirs ou autochtones) », demande-t-il à son chef de cabinet, Alex Steinhouse, le 30 janvier. Les premiers camions avaient fait leur arrivée dans la capitale fédérale deux jours plus tôt et bloquaient plusieurs rues du centre-ville.

« Quel pouvoir normatif avons-nous ou est-ce qu’un ordre est nécessaire ? EA ? », poursuit-il en faisant référence à l’acronyme anglais de la Loi sur les mesures d’urgence.

M. Steinhouse lui répond qu’on ne lui a pas parlé « d’un plan de contingence pour enlever qui que ce soit », mais que ça devrait « provenir de la Ville d’Ottawa et l’Ontario ».

Le ministre Lametti a affirmé qu’il avait joué de prudence. « Je savais que nous devions commencer à y réfléchir, que cela devienne une option ou non », a-t-il expliqué. Durant la pandémie, le gouvernement avait songé à recourir à la Loi sur les mesures d’urgence sans toutefois passer à l’action.

Il a également indiqué qu’il se demandait si la police agissait de la même façon avec les participants du « convoi de la liberté » qu’elle l’aurait fait avec des manifestants autochtones ou noirs. Cette question des deux poids, deux mesures a été soulevée à plusieurs reprises depuis l’hiver dernier.

« Vite, vite, vite »

Quelques jours après avoir évoqué un possible recours à la Loi sur les mesures d’urgence avec son chef de cabinet, le ministre Lametti s’adresse au ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, par texto et le presse de faire quelque chose.

« Tu dois faire bouger la police, écrit M. Lametti moins d’une semaine après l’arrivée des manifestants à Ottawa. Et les FAC [Forces armées canadiennes] si nécessaire. Trop de gens sont gravement touchés par ce qui est une occupation. Je vais m’en aller dès que ce sera possible. »

« Combien de chars d’assaut est-ce que tu demandes ?, lui répond M. Mendicino. Je veux seulement demander à Anita [Anand] combien nous en avons de disponibles. »

« Je pense qu’un fera l’affaire ! », conclut M. Lametti.

La ministre de la Défense nationale, Anita Anand, doit témoigner plus tard mercredi.

Dans d’autres textos, M. Lametti traite l’ancien chef de police, Peter Sloly, d’incompétent et presse la police d’agir « vite, vite, vite ».

L’avocat de la Commission, Gordon Cameron, a questionné le Procureur général du Canada sur l’ingérence politique dans le travail de la police durant la manifestation qui a fini par paralyser le centre-ville d’Ottawa durant trois semaines.

« Dans ces échanges, je ne dis nullement qu’il faut diriger la police », s’est défendu M. Lametti. Il a ajouté qu’il avait plutôt écrit ces messages comme un collègue du Cabinet et comme ministre. Il a affirmé que dans « le feu de l’action », il était frustré parce que certains de ses employés se faisaient harceler par les manifestants dans la rue et qu’il avait dû quitter le centre-ville d’Ottawa où il logeait.

Il a également soutenu la double interprétation du concept de menace à la sécurité nationale. La Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité énonce un certain nombre de critères pour évaluer une menace à la sécurité nationale. Parmi ceux-ci, l’espionnage et le sabotage, l’ingérence étrangère, l’usage de la violence grave et des activités qui visent à renverser le gouvernement. Cette même définition est reprise dans la Loi sur les mesures d’urgence, mais le gouvernement l’a interprété plus largement pour justifier le recours historique à cette législation d’exception.

Il s’est toutefois gardé de donner davantage de détails en contre-interrogatoire, invoquant à plusieurs reprises le secret professionnel étant donné son rôle de Procureur général. L’avocat de la Commission, Gordon Cameron, a critiqué le manque de transparence du gouvernement fédéral qui a refusé de lever le secret professionnel sur les éléments qui permettraient de mieux comprendre comment le Cabinet en est venu à la conclusion qu’il pouvait déclarer l’état d’urgence pour mettre fin aux manifestations.