(Ottawa) Ni le « convoi de la liberté » qui paralysait le centre-ville d’Ottawa ni les camions qui bloquaient des postes frontaliers ailleurs au pays ne constituaient une menace à la sécurité nationale, selon le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), David Vigneault. Une partie de sa déclaration écrite a été présentée en preuve lundi à la Commission sur l’état d’urgence.

Le gouvernement fédéral avait justifié le recours à la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin à ces manifestations par la menace grave qu’elles faisaient peser sur la sécurité du pays. Or, elles ne remplissaient pas les critères définis dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité pour être considérées comme une menace à la sécurité nationale. Parmi ceux-ci, l’espionnage et le sabotage, l’ingérence étrangère, l’usage de la violence grave et des activités qui visent à renverser le gouvernement.

L’enquête publique menée par le juge Paul Rouleau doit déterminer si le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence était justifié dans les circonstances. En vertu de cette législation, les menaces à la sécurité suffisantes pour déclarer l’état d’urgence doivent correspondre à la définition du SCRS.

Le témoignage de M. Vigneault à la Commission sur l’état d’urgence est seulement attendu la semaine prochaine, mais l’avocat des organisateurs du « convoi de la liberté » a donné un aperçu de ses déclarations préliminaires lors d’entrevues avec les procureurs de la commission. Il interrogeait alors Rob Stewart, qui était à l’époque sous-ministre à la Sécurité publique, et Dominic Rochon, qui occupait le poste de sous-ministre adjoint pour le même ministère.

« C’est le Cabinet qui prend cette décision et son interprétation de la loi est ce qui prévaut ici tout comme les conseils qu’il reçoit, a fait valoir M. Stewart. Sa décision était évidemment que le seuil [législatif] était atteint. »

Possible flambée de violence

Lors de son témoignage lundi, ce haut fonctionnaire à la Sécurité publique a admis qu’il craignait que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence ne cause une flambée de violence. Le SCRS avait d’ailleurs avisé le gouvernement fédéral que le recours à cette législation risquait d’augmenter le nombre de Canadiens qui « ont des opinions antigouvernementales extrêmes et pousserait certains à croire que la violence est la seule solution », avait-on appris la semaine dernière.

« L’une de mes préoccupations à l’époque était le potentiel de violence grave », a affirmé M. Stewart. Il a indiqué plus tard dans son témoignage qu’il avait sous-estimé la Loi sur les mesures d’urgence et que les appels pour de nouvelles manifestations un peu partout au pays avaient cessé par la suite.

L’idée de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence circulait depuis environ deux ans parce qu’elle avait été envisagée durant la pandémie. Cette fois-ci, le gouvernement discutait pour l’utiliser pour mettre fin aux convois de camions à Ottawa et devant plusieurs postes frontaliers au pays. M. Stewart a avoué en contre-interrogatoire qu’il y avait « plusieurs autres outils dans le coffre à outils ».

Washington s’inquiétait des convois

Le département américain de la Sécurité intérieure s’est renseigné sur le « convoi de la liberté » qui paralysait le centre-ville d’Ottawa et les autres convois de camions qui bloquaient des postes frontaliers. Deux hauts fonctionnaires canadiens du ministère de la Sécurité publique ont participé à des conversations téléphoniques avec leurs homologues américains.

« L’année précédente, avec les évènements du 6 janvier au Capitole, ils avaient encore des éléments extrémistes potentiels et il y avait aussi la possibilité que des convois se produisent dans les environs de Washington », a relaté Dominic Rochon, qui était alors sous-ministre adjoint au ministère de la Sécurité publique du gouvernement canadien.

Les États-Unis voulaient savoir comment le gouvernement canadien faisait face à une menace potentielle pour la sécurité nationale et s’inquiétaient de voir la capitale canadienne paralysée par des centaines de camions et des postes frontaliers bloqués.

En tout, trois appels ont eu lieu, dont le premier avec Elizabeth Sherwood-Randall, conseillère à la sécurité intérieure pour la Maison-Blanche. Ces conversations avec les responsables américains de la Sécurité intérieure ont été brièvement abordées lundi lors des témoignages de ces deux hauts fonctionnaires à la Commission sur l’état d’urgence.

Après avoir disséqué la réponse policière et les motivations des manifestants, l’enquête publique entre maintenant dans l’analyse de la réponse du gouvernement fédéral. Le premier ministre Justin Trudeau et sept de ses ministres doivent témoigner la semaine prochaine.