(Ottawa) L’inspecteur de la police d’Ottawa chargé de l’organisation des ressources policières durant le « convoi de la liberté » a permis aux camions d’accéder à la rue Wellington, même s’il craignait un assaut du Parlement comme celui du 6 janvier 2021 au Capitole à Washington. Des messages sur les réseaux sociaux laissaient entendre que certains éléments radicaux pourraient se joindre au convoi de camions alors qu’il se déplaçait vers la capitale fédérale.

C’est ce qu’a indiqué l’inspecteur Russell Lucas mardi à la Commission sur l’état d’urgence. Il y a également fait allusion dans sa déclaration de témoin fournie par écrit en preuve.

« Il y avait beaucoup de messages qui sont apparus sur les réseaux sociaux et qui disaient que ça allait être leur 6 janvier, a-t-il raconté. C’était le même jour que nous avons demandé des unités d’ordre public d’autres corps de police de venir à Ottawa pour nous aider. »

Il ne s’inquiétait pas nécessairement du convoi de camions en tant que tel, mais plutôt des groupes « anti-gouvernementaux » qui pourraient s’y attacher en cours de route. Dans sa déclaration de témoin, il indique que les messages sur les réseaux sociaux, d’abord informatifs sur l’arrivée prévue du « convoi de la liberté » à Ottawa, avaient évolué et indiquaient que les manifestants « allaient prendre la colline » du Parlement.

De plus en plus de gens joignaient le convoi de camions qui avait quitté l’Ouest canadien quelques jours plus tôt afin de se rendre dans la capitale pour s’opposer aux mesures sanitaires contre la COVID-19 et à l’obligation vaccinale imposée par le gouvernement fédéral aux camionneurs qui devaient traverser la frontière canado-américaine. Des millions de dollars continuaient d’affluer par l’entremise d’une campagne de sociofinancement sur la plateforme GoFundMe.

Il a affirmé avoir modifié sa planification, qui était plutôt focalisée sur la gestion de la circulation au centre-ville jusqu’ici, pour mettre l’accent sur le maintien de l’ordre public et la protection de la colline du Parlement. Deux équipes d’agents avaient alors été réaffectées à cet endroit à la demande du Service de protection parlementaire. Trois ou quatre autres équipes étaient également prêtes à être déployées si des manifestants tentaient de prendre d’assaut la colline et ses édifices.

Malgré tout, M. Lucas a permis aux camions de se stationner sur la rue Wellington, face au Parlement, durant la première fin de semaine de la manifestation pour protéger les quartiers résidentiels. Il estimait également que les manifestants « ne poseraient pas de risque significatif parce que les travaux parlementaires n’avaient pas encore repris les 29 et 30 janvier et il croyait qu’il avait suffisamment d’agents pour protéger la colline du Parlement si les participants du convoi tentaient de la prendre d’assaut. »

Cette décision a déplu au Service de protection parlementaire, qui avait demandé à ce que les camions ne se stationnent pas face au Parlement. Il s’agissait des premiers véhicules qui ont fait leur entrée dans la ville le vendredi 28 janvier et qui provenaient de convois dont le trajet était plus court. Il ne restait donc plus d’espace le lendemain, à l’arrivée du « convoi de la liberté » qui avait parcouru des milliers de kilomètres à partir de l’Ouest canadien pour manifester contre les mesures sanitaires et l’obligation vaccinale.

Déçus qu’il ne reste plus d’espace face au Parlement, ses organisateurs ont cessé de suivre les indications de la police à leur arrivée au centre-ville d’Ottawa le 29 janvier et les camions se sont stationnés dans des rues résidentielles.

« Nous en attendions quelques milliers et leur nombre a dépassé ce à quoi nous nous attendions et probablement ce à quoi s’attendaient les organisateurs », a affirmé M. Lucas.

La police d’Ottawa s’attendait à pouvoir gérer 3000 véhicules en leur demandant de se stationner sur Wellington et sur des routes en périphérie du centre-ville, mais ils étaient plutôt 5000, selon lui. Il s’agissait de tous types de véhicules et pas seulement des poids lourds.

D’autres témoins de la Ville et de la police ont déjà indiqué à la commission qu’il y avait 400 poids lourds dans la « zone rouge », qui comprend la colline du Parlement et les rues résidentielles avoisinantes.

La Loi sur les mesures d’urgence utile, mais pas nécessaire, selon la commissaire de la GRC

La police n’avait pas encore utilisé tous ses pouvoirs lorsque le gouvernement Trudeau a décidé de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin au « convoi de la liberté ». C’est ce qu’a écrit la commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Brenda Lucki, au chef de cabinet du ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, le 14 février.

Quelques heures plus tard, le premier ministre Justin Trudeau informait ses homologues provinciaux qu’il allait invoquer cette législation afin de mettre fin aux manifestations qui paralysaient le centre-ville d’Ottawa depuis plusieurs semaines et aux barricades érigées à plusieurs postes frontaliers.

Le courriel de Mme Lucki envoyé après minuit dresse la liste des pouvoirs supplémentaires qui seraient utiles à la police pour déloger les manifestants et leurs camions, comme celui de réquisitionner des camions-remorques et de rendre la participation de mineurs illégale.

« Cela dit, je crois que nous n’avons pas épuisé tous les outils à notre disposition par l’entremise des lois existantes », conclut-elle.

La semaine dernière, le surintendant en chef de la Police provinciale de l’Ontario, Carson Pardy, avait également affirmé que les forces policières n’avaient pas besoin de la Loi sur les mesures d’urgence pour saisir ou faire remorquer des véhicules.

Le chef intérimaire de la police d’Ottawa, Steve Bell, a reconnu lundi que les forces de l’ordre disposaient déjà de pouvoirs pour agir, mais il avait également ajouté que la déclaration d’urgence fédérale avait créé « un environnement stable » pour exécuter leur plan d’intervention.

L’enquête publique dirigée par le juge franco-ontarien Paul Rouleau doit déterminer si le recours historique à cette législation était justifié.