Dénoncé avec force par la plupart des dirigeants occidentaux vendredi, l’assassinat de l’ex-premier ministre japonais Shinzo Abe illustre à nouveau la nécessité d’avoir un « vrai débat public » sur la sécurité entourant les élus politiques, croient des experts, au moment où la gravité des menaces pour leur vie « augmente rapidement ».

« Bien des gouvernements ne prennent pas les questions de sécurité assez au sérieux en général. Ça doit rapidement être amélioré. L’assassinat de Shinzo Abe, j’espère que, de façon tragique, il va contribuer à accélérer ces débats-là, pour lesquels on est vraiment en retard », affirme l’expert en sécurité nationale à l’Université d’Ottawa, Thomas Juneau, aussi ex-agent de politique au ministère de la Défense nationale.

Même si l’exercice sera « politiquement délicat », dans un univers de plus en plus clivé, M. Juneau appelle Ottawa et tous les autres ordres de gouvernement à en débattre aussitôt que possible. « Au Canada, se dire que ce sont juste des gens qui disent des niaiseries sur Twitter, ça ne fonctionne plus. Les incitations à la violence sont là. Et ça prend juste un petit nombre pour que ça tourne mal », insiste-t-il.

La politologue Stéphanie Chouinard, professeure de science politique à l’Université Queen’s, abonde en ce sens. « C’est assez choquant, parce que le Japon n’est pas un pays avec une culture des armes ou de la violence. Les chances qu’un attentat comme ça arrive au Canada sont donc, dans les faits, plus grandes », estime-t-elle.

Ça va amener une réflexion plus approfondie sur la façon dont on protège nos élus. On sait que dans le climat actuel, plusieurs élus — et surtout des élues — reçoivent des menaces dont l’ampleur a vraiment enflé récemment. C’est un enjeu important auquel il faudra répondre.

Stéphanie Chouinard, professeure de science politique à l’Université Queen’s

Aujourd’hui consultant en sécurité, l’ancien cadre du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) Michel Juneau-Katsuya émet aussi un son de cloche similaire. « Le problème auquel on est confrontés actuellement, c’est que ces gestes de violence se multiplient de plus en plus. Ça fait partie de ce que j’appelle la détérioration du décorum démocratique », évoque-t-il.

« Si tu joues avec des allumettes et de l’huile, ne t’étonne pas si ça prend feu. C’est ça qui se passe en ce moment. On a des politiciens qui font toutes sortes de discours, et qui animent une certaine frange politique plus extrémiste. Ce climat international devrait interpeller nos dirigeants en matière de sécurité, et vite », poursuit l’expert.

Des élus aussi préoccupés

Offrant tour à tour leurs condoléances aux proches de l’ex-premier ministre japonais, plusieurs élus ont aussi montré des signes clairs de préoccupation, vendredi. « On va toujours s’opposer fermement à tout type de violence politique, de menaces, d’intimidation qui mettent nos démocraties en danger », a notamment illustré le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, vendredi, lors d’un discours à Ottawa pour le dévoilement de l’œuvre d’art Humanity du président des Raptors de Toronto, Masai Ujiri.

« Je suis bouleversé et attristé par l’attentat contre Shinzo Abe, ancien premier ministre du Japon. Mes pensées vont à sa famille, à ses amis et au peuple japonais qui pleurent cette terrible perte. Repose en paix », a dit le chef néodémocrate Jagmeet Singh.

PHOTO LARS HAGBERG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Shinzo Abe, alors premier ministre du Japon, et le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, se serrant la main lors d’une conférence de presse à Ottawa, en avril 2019.

« Shinzo était un grand ami du Canada, des Canadiens et aussi de moi-même », a aussi déclaré M. Trudeau, en parlant d’un acte de violence « insensé ». « Son leadership — il était là quand j’ai été élu pour la première fois — son modèle, sa compassion, son humanité et sa vision pour l’avenir nous inspirent tous et nous inspirera ensemble », a-t-il encore dit du politicien assassiné, qui a dirigé le gouvernement japonais à deux reprises de 2006 à 2007, puis de 2012 à 2020.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault, premier ministre du Québec

Au Québec, le premier ministre François Legault a indiqué être « bouleversé par la mort de l’ancien premier ministre japonais Shinzo Abe ». « Le Québec se joint au Canada et au reste du monde pour dénoncer cet acte de violence contre les fondements mêmes de la démocratie », a-t-il déclaré dans un gazouillis.

La ministre québécoise des Relations internationales, Nadine Girault, a aussi réagi en début de journée. « Toutes mes pensées au peuple japonais, nos chers amis, à la suite de l’assassinat de leur ancien premier ministre Shinzo Abe. Il était un fier ambassadeur de sa nation et a favorisé le développement des relations entre le Japon et le Québec. », a-t-elle gazouillé.

Chez les conservateurs fédéraux, la cheffe par intérim Candice Bergen a rappelé que Shinzo Abe « [avait] été déterminant pour le renforcement des relations entre le Canada et le Japon ». « Son héritage est celui d’un engagement envers la prospérité et la sécurité régionales, qui se traduit par des traités comme l’Accord global et progressif de partenariat transpacifique dont le Canada et le Japon sont signataires », a-t-elle signalé.

« Je veux adresser mes condoléances et ma sympathie, comme celles du Bloc québécois, au peuple du Japon, mais aussi ma colère et mon indignation que nos sociétés dites démocratiques et sécuritaires voient des figures publiques assassinées lâchement et de toute évidence facilement », a quant à lui souligné le chef bloquiste Yves-François Blanchet.

« Cet assassinat secoue les fondements de la démocratie. De toute démocratie. Ça donne froid dans le dos », s’est par ailleurs inquiétée la députée provinciale libérale Marwah Rizqy.

Qui était Shinzo Abe ?

PHOTO JOHN THYS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ancien premier ministre du Japon Shinzo Abe, en octobre 2018

Né le 21 septembre 1954 à Nagato, dans la préfecture de Yamaguchi, Shinzo Abe a occupé la fonction de premier ministre du Japon de septembre 2006 à septembre 2007. Il a retrouvé le pouvoir en décembre 2012 jusqu’en septembre 2020. L’ancien chef d’État a profondément marqué la vie politique, résistant à de nombreux scandales politico-financiers autour de lui et ses proches. Il s’est fait surtout connaître à l’étranger avec sa politique économique surnommée « Abenomics » lancée à partir de fin 2012, combinant assouplissement monétaire, relances budgétaires massives et réformes structurelles. À la tête du Japon, il a enregistré certains succès, comme une hausse notable du taux d’activité des femmes et des personnes âgées, ainsi qu’un recours plus important à l’immigration face à la pénurie de main-d’œuvre. Faute de réformes structurelles suffisantes, les Abenomics n’ont cependant engendré que des réussites partielles. À l’été 2020, devenu impopulaire pour sa gestion de la pandémie jugée maladroite par l’opinion publique, Shinzo Abe a reconnu qu’il souffrait d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, la rectocolite hémorragique, et a démissionné peu après.

D’après l’Agence France-Presse