(Ottawa) Fidèle à ses positions passées, Jean Charest garde la porte ouverte à l’idée d’approuver de nouveaux projets de construction de pipelines au pays. L’ancien premier ministre du Québec, qui confirmera jeudi à Calgary qu’il brigue la direction du Parti conservateur, affirme que le Canada doit à tout prix assurer sa sécurité énergétique.

La guerre en Ukraine remet au premier plan l’importance de cette question non seulement au Canada, mais sur tout le continent nord-américain et en Europe, estime-t-il.

« On ne peut pas se permettre d’être à la merci de quiconque sur le plan énergétique. Il n’y a pas de raison non plus de l’être parce que nous avons des ressources. On les a toutes », affirme l’ancien premier ministre dans une longue entrevue accordée à La Presse, 24 heures avant de se lancer officiellement dans la course au leadership.

Dans cette entrevue, M. Charest a expliqué pourquoi il tente un retour sur la scène politique fédérale alors qu’il gagne bien sa vie dans le secteur privé, a répondu aux critiques de ceux qui affirment qu’il n’est pas un vrai conservateur et a défendu bec et ongles son bilan comme premier ministre du Québec.

Il soutient être le candidat de l’unité du parti capable de rallier les différentes régions à une cause commune dans le but de former un gouvernement conservateur majoritaire. Il avance aussi que, s’il réussit son pari, il donnera une « bouffée d’air frais » à Ottawa parce qu’il a une compréhension du fonctionnement de la fédération canadienne – il est le fondateur du Conseil de la fédération qui regroupe toutes les provinces et territoire et permet de présenter des fronts communs face à Ottawa – et il ajoute que le respect des compétences des provinces est fondamental.

La guerre en Ukraine « change la donne », dit Charest

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis en relief la dépendance de l’Europe envers le pétrole et le gaz naturel russes. À l’instar du Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni ont annoncé une interdiction des importations de pétrole russe, les énergies fossiles servant à financer le trésor de guerre du Kremlin. Mais la majorité des pays d’Europe, en particulier l’Allemagne et le Danemark, sont incapables de s’en priver totalement.

« La guerre en Ukraine change la donne d’une manière très importante. La guerre ramène à l’avant-scène un sujet que les gouvernements ne traitent pas de manière quotidienne, soit la question de la sécurité d’approvisionnement énergétique. Ce n’est pas un sujet qu’un gouvernement traite souvent parce que c’est une situation d’exception. On vit la situation d’exception qui nous ramène à cette question très importante pour le fonctionnement de notre économie », analyse Jean Charest.

Il ne faut pas attendre d’avoir soif pour construire le puits. C’est aussi simple que cela. Le devoir, la responsabilité des gouvernements, c’est justement de réfléchir à cela. La guerre nous rappelle cruellement cette réalité pour nous tous. Il faut planifier, il faut prévoir, il faut anticiper.

Jean Charest, candidat à la direction du Parti conservateur, en entrevue avec La Presse

Ce n’est pas un hasard si l’ancien premier ministre a choisi de lancer sa campagne à Calgary, en Alberta, province qui produit du pétrole et du gaz, et qui est considérée comme un bastion de la formation politique qu’il aspire à diriger.

« Il y a un message là-dedans. Le message que je veux donner, c’est que je suis un candidat pour tout le pays. L’unité du pays, pour moi, c’est fondamental. C’est une condition pour pouvoir réussir au Canada. Dans l’Ouest, les gens ont vraiment le sentiment d’avoir été exclus. Je veux qu’ils sachent que, dans ma vision de l’avenir du Canada, il y a l’Alberta, il y a la Saskatchewan et qu’ils doivent être à la table, là où se prendront les décisions. Ils feront partie d’une équipe qui va définir les politiques au lieu de les subir. Ils auront la place qui leur revient dans un gouvernement que je serais appelé à former », a-t-il affirmé.

Au cas par cas

M. Charest, qui a été ministre de l’Environnement dans le gouvernement Mulroney et qui a dirigé la délégation canadienne à la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement à Rio, en 1992, prend aussi soin de souligner que cela ne veut pas dire qu’il est prêt à appuyer aveuglément de nouveaux projets de pipeline. « Il faut y aller projet par projet », dit-il, ajoutant toutefois avoir « toujours été favorable au secteur du pétrole et du gaz ».

Le dernier pipeline à avoir été construit au Québec, ç’a été construit sous mon gouvernement, c’est le pipeline entre Lévis et Montréal pour Valero. Ç’a été fait dans les normes et ç’a été fait correctement. Je connais le sujet.

Jean Charest, candidat à la direction du Parti conservateur, en entrevue avec La Presse

« On va prendre les projets un à un, mais dans une perspective où c’est l’intérêt national qui va dicter les décisions. Et on va les faire correctement », a dit M. Charest, dont le gouvernement a instauré la Bourse du carbone à Montréal, en 2008.

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Jean Charest, ancien premier ministre du Québec, lors du lancement de la Bourse du carbone à Montréal, en mai 2008

M. Charest souligne l’importance de continuer le travail visant à décarboner l’économie, mais selon lui, il faut le faire d’« une manière intelligente sur le plan économique ». « C’est pour cela que je suis en Alberta. Sur ces sujets, le parti est bien capable de se donner des politiques avant-gardistes, intelligentes et équitables. Ce n’est pas vrai qu’il fait partie du problème. Il fait partie de la solution. » M. Charest n’a pas donné d’exemple de ces politiques avant-gardistes, affirmant qu’il le ferait durant la campagne au leadership.

« Quand on a fait la Conférence de Rio, en 1992, on avait le secteur du pétrole avec nous à la table. Il était partie prenante. Il n’était pas exclu. Ce que j’ai appris, et je l’ai appris au Québec aussi, c’est que dans tous ces projets, quand on aborde les questions d’énergie et de climat, il faut que tout le monde participe à l’élaboration des politiques. On ne peut pas le faire à l’exclusion de l’un ou de l’autre. »

L’environnement, l’économie, la gestion des finances publiques, la place du Canada dans le monde et la défense nationale, entre autres, sont des thèmes que compte aborder M. Charest durant la course. « Nous aurons beaucoup de choses à dire sur ces enjeux », a-t-il dit.

Troisième candidat dans la course

M. Charest deviendra ce jeudi le troisième candidat à se lancer officiellement dans la course après le député Pierre Poilievre, le mois dernier, et la députée Leslyn Lewis, qui tente de nouveau sa chance. Le maire de Brampton, Patrick Brown, ancien député conservateur à Ottawa et ancien chef du Parti conservateur de l’Ontario, devrait officialiser sa candidature sous peu.

PHOTO MICHAEL BELL, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le député Pierre Poilievre, candidat à la direction du Parti conservateur

M. Charest voit les attaques de Pierre Poilievre, qui l’accuse de ne pas être un vrai conservateur, comme un « compliment ».

« Je suis très heureux du compliment qu’il me fait. Il faut le prendre comme cela. Il va passer plus de temps à attaquer ma campagne qu’à préparer la sienne. Je ne vais pas répondre à ses critiques. Mais je veux juste dire que j’y vais comme un conservateur, point final. Tout mon parcours est un reflet de cela », a-t-il soutenu. Il a dit que la saine gestion des finances publiques, l’économie de marché, le respect des compétences des provinces, le respect de la primauté du droit ainsi que le soutien aux familles et aux institutions, entre autres, faisaient partie de son ADN politique.

Pourquoi Jean Charest veut-il effectuer un retour en politique ?

« C’est une idée qui a vraiment été le fil conducteur de toute ma carrière politique, et même de ma vie, c’est l’idée du Canada. […] Je veux que le Parti conservateur soit un parti national. Je veux unir le parti. Je veux unir le pays. L’histoire de ma vie, ç’a été d’être un rassembleur, d’être celui vers qui on se tourne pour que l’on puisse travailler sur une vision commune, une volonté commune, et de respecter les autres et de le faire dans le respect de ceux qui ne partagent pas nécessairement nos choix. J’ai fait cela toute ma vie. Et c’est pour cela que je me lance dans la course avec la conviction que je pourrai unir le parti et que je pourrai livrer un gouvernement national. »

Son expérience de premier ministre, « une bouffée d’air frais » à Ottawa

« Je crois que, pour Ottawa, ce serait une bouffée d’air frais d’avoir un premier ministre qui comprend bien le fonctionnement de la fédération et qui est capable de faire fonctionner le système fédéral efficacement au bénéfice de la fédération. […] Le pays, au jour le jour, ce sont les provinces qui le font fonctionner. On a juste à penser à la santé et à l’éducation. Dans le domaine de la santé, toutes les provinces font des choix. Il faut que le fédéral en tienne compte. Il ne peut pas juste intervenir à droite, à gauche, au fil des humeurs pour dire : on devrait faire ceci ou faire cela avec des conditions en plus. Ça ne marche pas. Les intentions sont peut-être bonnes, mais ça ne marche pas. »

Compte-t-il offrir des explications sur la gestion de son gouvernement, même si l’Unité permanente anticorruption a récemment mis fin à l’enquête Mâchurer ?

« J’ai un bilan dont je suis très fier. Sur le plan économique, ç’a été très solide. On a laissé l’économie du Québec dans un très bon état. On a laissé les finances publiques en bon état. Sur le plan social, on a réduit la pauvreté. Je suis très content. Il y a eu l’entente Canada-Europe, l’entente Québec-France sur la main-d’œuvre. Le premier cabinet paritaire au Canada, je l’ai fait. Il y a eu le Plan Nord et le développement des ressources naturelles. […] Si les gens veulent parler de mon bilan, tant mieux. C’est un sujet que je connais bien. Cela va me faire plaisir d’en parler. Mais je veux aussi parler de ce qu’on veut préparer pour l’avenir. Est-ce que l’on veut un chef qui va nous unir et nous faire gagner les élections, ou l’inverse ? »