(Ottawa) Les députés fédéraux ont adopté lundi soir la motion de déclaration de situation de crise, maintenant en vie la Loi sur les mesures d’urgence.

La motion a été entérinée par un vote de 185 à 151.

Comme on s’y attendait depuis quelques jours, les libéraux et les néo-démocrates y ont donné leur sceau d’approbation, tandis que les conservateurs et les bloquistes l’ont rejetée. Chez les verts, Elizabeth May a voté en faveur.

« Honte ! », « Dégoûtant ! », « C’est un jour horrible ! », s’est-on écrié dans les banquettes conservatrices à l’annonce du résultat du vote.

La cheffe intérimaire du parti, Candice Bergen, a aussitôt tenté d’exiger son abrogation – si au moins 20 élus réclament son abolition, la Loi sur les mesures d’urgence prévoit qu’une motion peut être présentée –, mais le dépôt a été refusé, sous prétexte qu’il était « hors d’ordre ».

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Candice Bergen, cheffe intérimaire du Parti conservateur du Canada

« Nous allons continuer à lutter contre cette prise de pouvoir par le premier ministre et son gouvernement », a déclaré la Manitobaine dans un communiqué.

L’approbation de la motion signifie que la Loi sur les mesures d’urgence, en vigueur depuis lundi dernier, est toujours en vigueur.

Si les députés avaient majoritairement voté contre, elle aurait cessé de prendre effet le jour même.

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a juré qu’elle ne resterait pas en place un jour de trop. Il est même « possible » qu’elle soit retirée avant les 30 jours où elle peut être en vigueur, a-t-il insisté lundi.

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Marco Mendicino, ministre de la Sécurité publique

Nous continuons à suivre la situation chaque heure, chaque jour, chaque semaine. Et si nous sommes dans une situation où les circonstances [ne passent plus] le test de la loi, on va la retirer.

Marco Mendicino, ministre de la Sécurité publique

La balle est maintenant dans le camp du Sénat, qui doit à son tour se prononcer sur la motion. Là aussi, si elle n’est pas adoptée, la loi cesse de s’appliquer la journée du vote en sa défaveur.

Toujours nécessaire, selon Trudeau

En début de journée, le premier ministre Justin Trudeau y était allé d’un dernier plaidoyer, insistant sur le fait que l’état d’urgence était encore nécessaire pour éviter une résurgence du mouvement, et ce, même si les manifestants ont quitté le centre-ville d’Ottawa et que les blocages aux postes frontaliers sont terminés.

En conférence de presse dans un édifice parlementaire jouxté par la rue Wellington désormais libérée – mais encore sécurisée par un important contingent policier –, il a exhorté les élus de la Chambre des communes à appuyer la motion, insinuant que le vote en était un de confiance.

« Je demande à tous les parlementaires d’agir contre les blocages illégaux et de se tenir debout pour la sécurité publique et la liberté des Canadiens, a-t-il déclaré. Invoquer la Loi sur les mesures d’urgence a été nécessaire. »

Elle a notamment permis, selon le premier ministre du Canada, de freiner le financement en provenance de l’étranger que recevaient les organisateurs de ces blocages illégaux et de s’assurer que les frontières restent ouvertes.

Vote de confiance

Le premier ministre a insinué qu’il s’agissait d’un vote de confiance pour son gouvernement minoritaire.

Tout d’abord, j’ai de la misère à imaginer qu’un parlementaire qui vote non à ces mesures ce soir pourrait imaginer que c’est autre chose que de démontrer la confiance dans la responsabilité, la confiance et la compétence du gouvernement.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

De son côté, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) a réitéré mercredi qu’il était prêt à « appuyer à contrecœur » cette loi jamais invoquée depuis son adoption, en 1988, mais qu’il pourrait retirer son appui avant la fin des 30 jours prescrits par la loi.

Les conservateurs ont dénoncé les pouvoirs qui permettent aux institutions financières de geler les comptes bancaires des participants à la manifestation sans contrôle judiciaire. Plusieurs députés ont affirmé en chambre que les avoirs d’électeurs qui avaient simplement fait un don au « convoi de la liberté » avaient été gelés.

« La GRC a donné aux institutions financières les noms des chefs de file et des organisateurs des manifestations et des gens dont les camions ont fait partie des occupations et des blocages, a répliqué la ministre des Finances, Chrystia Freeland. C’est la seule information, selon la GRC, qu’elle leur a donnée. »

Le risque d’abus de la part des forces policières demeure important, selon l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC). Elle exhortait tous les députés à voter contre la motion pour prolonger l’état d’urgence.

Au Sénat de jouer

La chambre haute entame ce mardi le débat sur la loi, au jour 9 de son invocation.

Compte tenu de la composition actuelle du Sénat, le résultat est difficile à anticiper : de ses 105 occupants, 75 font partie d’un groupe indépendant, et l’opposition conservatrice compte 16 sénateurs (14 sièges sont vacants).

Au bureau du leader de l’opposition, Don Plett, on a indiqué qu’il n’y aurait pas de ligne de parti. Mais de façon générale, les conservateurs du Sénat votent comme leurs collègues de l’autre chambre.

Dans le camp indépendant, certains auront besoin d’être convaincus, dit la sénatrice Julie Miville-Dechêne.

Elle-même fait partie du lot.

J’ai toujours des réserves face à la nécessité de cette loi, et je ne suis pas certaine que le gouvernement a fait la preuve qu’on était dans une situation d’urgence nationale.

Julie Miville-Dechêne, sénatrice d’Inkerman

L’interdiction du droit de manifester dans un périmètre défini en vertu de la loi, dans ce cas-ci celui de la colline du Parlement, est l’un des éléments qui la préoccupent. « On parle de droits qui sont quand même assez fondamentaux qui ont été suspendus », relève-t-elle.

Son collègue Pierre Dalphond, ancien juge à la Cour d’appel du Québec, est également inquiet, et il souhaite un débat « plus sérieux » et moins partisan qu’aux Communes. « Je pense que ça doit être un test juridique », a-t-il exprimé.

« Le gouvernement nous dit : faites-nous confiance [que le critère du recours à la loi est atteint]. Ça, j’avoue que je n’aime pas cette idée-là », laisse tomber le sénateur. D’autant qu’au Sénat, « on devra dire si ça se continue ou pas, qu’on est convaincus que c’est nécessaire de continuer », relève l’ancien magistrat.

Manifestations et menaces de blocages

En fin d’après-midi, une vingtaine de manifestants étaient réunis près du Musée canadien de la guerre, situé à environ deux kilomètres de la colline du Parlement. À un peu plus de cinq kilomètres du centre-ville, le campement érigé près du stade de baseball sur le chemin Coventry a été complètement évacué, selon la police d’Ottawa. Des agents demeuraient sur place. Le premier ministre Trudeau a évoqué le fait que des camionneurs réunis à Arnprior et à Embrun, en périphérie d’Ottawa, avaient indiqué leur désir de reprendre leur manifestation à Ottawa. Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a soutenu que des manifestants avaient tenté samedi de bloquer le poste frontalier de Surrey, en Colombie-Britannique.

Mylène Crête, La Presse

196 arrestations

La police d’Ottawa a donné un nouveau bilan de son opération policière lundi après-midi. Selon les dernières informations, 196 personnes ont été arrêtées relativement à la manifestation illégale au centre-ville d’Ottawa. De ce nombre, 110 personnes font l’objet d’accusations allant du méfait à la possession d’arme. En tout, 115 véhicules ont été remorqués. Le périmètre sécurisé a été rétréci, puisque le Marché By n’en fait plus partie, mais il inclut toujours une large portion du centre-ville.

Mylène Crête, La Presse