Simon Jolin-Barrette ressemblait hier à la caricature que faisait Marc Labrèche de l’émission Mirador.

« Avant de faire la conférence de presse, on va organiser une autre conférence de presse pour annoncer à la presse qu’on fait une conférence de presse », s’emballait le comédien dans sa satire du merveilleux monde des relations publiques.

De la même façon, le ministre responsable de la Langue française a convoqué les médias pour annoncer qu’après des mois de réflexion, il… continue de réfléchir. Son but demeure de faire une annonce au début de l’hiver pour renforcer la loi 101.

Il défie un vieux principe : baisser les attentes pour mieux satisfaire.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Simon Jolin-Barrette, ministre responsable de la Langue française, en conférence de presse, mardi.

Tout comme la nature, les médias ont horreur du vide. Alors les collègues en sont sortis avec une maigre nouvelle : le ministre n’exclut pas d’appliquer la loi 101 aux cégeps.

Une heure plus tard, le premier ministre François Legault mettait fin au faux suspense. Non, ça n’arrivera pas. On s’en doutait d’ailleurs, car la CAQ s’y est toujours opposée.

Mais au-delà de la stratégie, une question plus importante est de savoir si cela est utile. Je crois que la réponse est oui.

Le ministre se souvient de l’échec de sa réforme de l’immigration pour les travailleurs et étudiants étrangers. Il croyait régler un problème, mais c’était en fait à une réussite qu’il s’attaquait.

Cette fois, il procède de façon inverse. Il s’assure de démontrer le problème, puis il construit un consensus sur la nécessité de s’y attaquer. En ralliant tout le monde, y compris les libéraux.

C’est aussi à cela que servait son « annonce ».

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D’un ton solennel, M. Jolin-Barrette a affirmé que sa réforme offrait aux libéraux une chance de racheter leur erreur historique.

En fait, si la loi 101 n’a pas été renforcée, c’est à cause de la Coalition avenir Québec qui a bloqué la réforme péquiste en 2013. François Legault devrait donc lui aussi y voir une occasion rédemptrice. Le premier ministre n’aura pas la conscience tranquille si son legs principal aura été de remplacer le Parti québécois sans protéger la langue commune de la nation.

M. Jolin-Barrette semblait presque mettre la pression sur son patron lui-même. Cela n’est sûrement pas étranger à cette nouvelle rebuffade de M. Legault à l’endroit de son ambitieux soldat.

Mais M. Jolin-Barrette n’a pas tort : une occasion unique s’offre à la cheffe libérale Dominique Anglade. À part de se réclamer de l’héritage de Robert Bourassa, on se demande depuis son élection comment elle renouera avec le nationalisme libéral. Mardi, elle s’est ralliée à la motion caquiste qui demandait à l’Assemblée nationale de reconnaître le déclin du français et la nécessité de renforcer la loi 101.

Ce n’est pas banal. Depuis le début du siècle, jamais les libéraux n’ont été aussi loin.

Bien sûr, il y a des visées électorales derrière tout ça… Les libéraux obtiennent des appuis faméliques dans les intentions de vote chez les francophones. S’ils espèrent reprendre le pouvoir, ils n’ont pas le choix de les courtiser.

Reste que pour la protection du français, cet appui libéral est significatif. Ce sont les libéraux qui sont les plus écoutés par les anglophones et les allophones. La position de Mme Anglade donne une légitimité à cette cause chez les plus sceptiques. Avec le port de signes religieux, libéraux, caquistes et péquistes n’ont jamais eu cette intention commune.

Pour la suite, toutefois, ce sera plus compliqué.

Une nouvelle loi 101 votée à l’unanimité, cela demeure peu probable, même si dans un monde idéal, l’Assemblée nationale parlerait d’une seule voix pour protéger le français.

M. Jolin-Barrette essaie d’abord de se créer un rapport de force face à l’opposition, et face à ses collègues plus timorés.

De plus, on n’a encore aucune idée de son plan. Par exemple, on ignore si les mesures pour les PME seront coercitives ou si le financement aux établissements postsecondaires anglophones sera maintenu — ils reçoivent nettement plus que leur poids démographique. Ajoutons que M. Jolin-Barrette n’est pas reconnu pour sa capacité à travailler en équipe.

Bref, on n’est qu’à la toute première marche.

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Ce qui se passe à Ottawa n’est pas banal non plus.

La défense du français est une cause qui a toujours besoin de se justifier. L’accusation d’« intolérance » n’est jamais loin.

Voilà pourquoi c’était important que Justin Trudeau change son discours et reconnaisse que le français doit être protégé non seulement comme langue minoritaire dans les autres provinces, mais aussi comme langue majoritaire au Québec.

Le Parti conservateur presse les libéraux d’aller plus vite. Et le Bloc les surveille, à l’affût de la moindre contradiction.

À l’initiative des conservateurs, un débat sera organisé ce soir à la Chambre des communes. Les libéraux enverront leur premier trio : Mélanie Joly pour la Loi sur les langues officielles, Steven Guilbeault pour le français en culture et Pablo Rodriguez pour l’ensemble des dossiers touchant le Québec.

Les députés anglo-québécois Anthony Housefather et Francis Scarpaleggia devraient également y participer. Dans leur cas, je ne m’attends pas à un discours coécrit par la Société Saint-Jean-Baptiste. Mais ils feront œuvre utile s’ils expliquent aux allophones et aux anglophones que le combat pour le français est encore nécessaire.

Ils n’auront pas vraiment le choix de toute façon, s’ils veulent être cohérents avec le livre blanc que prépare Mme Joly, comme le révèle aujourd’hui mon collègue Joël-Denis Bellavance.

Tout cela n’est pas pour déplaire à M. Jolin-Barrette.

En n’annonçant rien d’autre que son intention de faire une annonce, le ministre fait traîner le dossier et monter les attentes. Mais s’il continue d’en profiter pour rallier tout le monde autour d’un objectif commun, la démarche aura servi la cause.

Les espoirs, par contre, seront d’autant plus difficiles à ne pas décevoir.