La fermeture des frontières terrestres avec les États-Unis sera-t-elle prolongée au-delà du 21 juillet ? La pandémie de COVID-19 permettra-t-elle la mise en place de normes pancanadiennes pour les centres de soins pour personnes âgées ? Et quel ordre de gouvernement gagnera-t-il la partie de souque à la corde quant au retour au travail des petits salariés ?

Personne n’a encore trouvé le vaccin pour mettre fin aux tensions entre le gouvernement fédéral et les provinces. Les trois mois de pandémie auront permis de voir à la fois le meilleur et le pire des rapports entre les deux ordres de gouvernement. Et au sortir de la première vague, la pression sera énorme de la part des provinces pour qu’Ottawa bonifie ses transferts en santé. Bien des provinces sont pratiquement dans la dèche.

Au début de mars, le Québec et la Colombie-Britannique avaient des finances publiques solides. Mais l’Ontario ployait déjà sous un énorme déficit, et la pandémie n’a fait qu’empirer les choses. À Terre-Neuve-et-Labrador, le gouvernement fédéral a dû intervenir pour acheter les obligations de la province pour lui permettre de payer ses factures en santé.

Alors qu’Ottawa fait pleuvoir des milliards en mesures pour contrer l’incidence de la pandémie sur l’économie, son engagement formel en matière de transferts de santé aux provinces reste, pour l’heure, de 500 millions. À la fin de juin, à la réunion du Conseil de la fédération, en personne ou en téléconférence, les provinces auront le même discours : Ottawa doit transférer plus d’argent en santé – il assume actuellement environ 20 % de la note, et doit viser au moins 25 %.

Les discussions sont toujours en cours entre Ottawa et les provinces sur l’attribution de 14 milliards de fonds fédéraux, destinés à permettre de « rouvrir l’économie » au cours des prochains mois. Calcul rapide : quand on soustrait les sommes qu’Ottawa compte à l’avance affecter, par exemple, à la multiplication des tests et à une série d’entrepôts d’équipement sanitaire, il reste environ 3 milliards à partager avec les provinces. Celles-ci, le Québec en tête, voudront avoir le maximum de latitude dans l’utilisation de ces fonds. Ottawa est ouvert, à la condition qu’elles se soumettent à une reddition de comptes – les budgets iront en mesures sanitaires et pour le maintien à l’emploi, pas pour des infrastructures.

Même sans précédent, la crise ne fera pas table rase des revendications historiques du Québec, souligne-t-on dans les deux capitales. Du point de vue de Québec, on table sur l’asymétrie reconnue par le gouvernement de Paul Martin à Jean Charest. Mais on constate que le risque demeure important que le fédéral profite de la pandémie pour d’abord centraliser, puis baliser et finalement édicter les règles dans les soins de santé.

En mai, cinq députés libéraux fédéraux ont demandé publiquement à Justin Trudeau de saisir cette occasion ; après avoir hésité, le premier ministre n’avait pas avalisé ce projet. Mais son gouvernement reste minoritaire. Qu’arrivera-t-il si le Nouveau Parti démocratique rend son appui conditionnel à de telles modifications à la Loi canadienne sur la santé ?

François Legault garde le cap sur le respect des compétences provinciales en santé. Mais ailleurs au pays, l’ampleur de la pandémie a eu une incidence évidente. Selon l’Ontarien Doug Ford, des normes pancanadiennes pour les établissements de santé de longue durée sont peut-être aujourd’hui nécessaires. « Nous avons besoin d’une procédure opérationnelle standard qui s’applique dans tout le pays, peu importe que ce soit au Québec, en Ontario ou en Colombie-Britannique », a-t-il déclaré.

Il est vrai que le verdict rendu par les militaires délégués dans cinq centres de sa province était très alarmant. Au Québec, la situation était liée davantage à un manque de personnel et non à de la négligence, voire de la maltraitance, comme en Ontario, ont noté les militaires dans leur état de la situation.

Mais l’intervention des Forces armées a donné lieu à une partie de ping-pong entre MM. Legault et Trudeau. Combien de militaires étaient attendus ? Quelques dizaines avaient une formation médicale, mais après quelques jours de contradiction, Ottawa a envoyé un total de 1300 soldats. Puis le différend a porté sur la fin de cette intervention, que M. Legault souhaitait voir prolonger jusqu’en septembre. M. Trudeau voulait en finir en mai. Finalement, la pression diminuant dans les CHSLD, on s’est entendus pour que des employés de la Croix-Rouge viennent remplacer les soldats, mais ils ne sont toujours déployés.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Point de presse du premier ministre François Legault, le 15 juin dernier

La pandémie n’a probablement pas accru les tensions entre Ottawa et les provinces. Mais les points de presse quotidiens de Justin Trudeau, de François Legault et de Doug Ford ont probablement mis le film en « avance rapide ». On a l’impression qu’une éternité s’était écoulée, mais au tout début de la crise, exaspérée par la lenteur d’Ottawa, la Direction de santé publique de Montréal avait affecté des employés à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau pour prévenir les voyageurs des risques de transporter le virus.

Devant l’insistance de Donald Trump, le gouvernement fédéral est toujours très tenté d’ouvrir la frontière terrestre avec les États-Unis. L’Alberta exerce de fortes pressions en ce sens, et c’est un sujet récurrent aux conférences téléphoniques du jeudi entre les premiers ministres, des échanges qui durent parfois jusqu’à deux heures. Québec et Queen’s Park ont les yeux rivés sur les statistiques américaines ; la diminution des cas dans le Nord-Est ne fait pas oublier la flambée dans de nombreux États plus au sud. François Legault et Doug Ford, et probablement John Horgan, de la Colombie-Britannique, plaideront probablement pour une prolongation de la fermeture.

Pendant trois mois, Ottawa et Québec ont paru jouer du coude dans l’aide financière. Ottawa avance la Prestation canadienne d’urgence (PCU), Québec promet plus d’argent à ceux qui resteront au travail. Il y a quelques jours, M. Legault a accueilli froidement une nouvelle initiative d’Ottawa – 10 jours de congé maladie aux employés frappés par la COVID-19 ou devant se plier à une quarantaine. Les employeurs sont opposés à cette mesure, a-t-il plaidé. Surtout, une question demeure, lancinante : qui ramassera cette nouvelle facture ?

Dernière manche dans cette compétition entre Ottawa et les provinces : le premier ministre du Manitoba, Brian Pallister, a annoncé cette semaine que sa province donnerait des subventions de 2000 $, durant quatre semaines, aux citoyens qui retourneraient au travail. À l’évidence, la mesure est taillée sur mesure pour neutraliser l’effet de la PCU. La longévité de la PCU, dans bon nombre de provinces, désespère les employeurs qui peinent à retenir les employés à faible salaire.

Les rapports entre Ottawa et Québec se sont-ils améliorés depuis trois mois ? Ils se sont à coup sûr intensifiés. Tous les jours, le responsable du Québec au cabinet de Justin Trudeau, Olivier Duchesneau, prend contact avec Benjamin Bélair, au cabinet de François Legault. Parfois le message passe par Mario Lavoie, nouveau délégué du Québec à Ottawa – issu lui aussi du cabinet du chef caquiste. Québec observe que plusieurs annonces se sont faites de façon unilatérale. Ottawa s’en défend, mais souligne qu’en temps de crise, les annonces suivent souvent de très près les décisions.