(Québec) Des gros salaires qui laissent perplexes. Des bonis à la signature discutables. Des primes au rendement accordées quasi automatiquement sans justification écrite. Des indemnités de départ généreuses et camouflées. La vérificatrice générale Guylaine Leclerc dénonce des « situations préoccupantes » dans la rémunération des hauts dirigeants de sociétés d’État et de commissions scolaires. Un ménage s’impose.

Déposé à l’Assemblée nationale jeudi, son rapport cible des sociétés d’État à vocation commerciale – Investissement Québec (IQ), Société des alcools du Québec (SAQ) et Loto-Québec, mais aussi la SEPAQ et le Musée national des beaux-arts du Québec. La VG montre du doigt également des commissions scolaires comme la Commission scolaire de Montréal (CSDM).

D’abord, la VG constate un écart important entre la rémunération des hauts dirigeants des sociétés d’État à vocation commerciale et ceux des ministères et d’autres organismes. Les premiers touchent environ deux fois plus d’argent que les seconds.

Les sociétés d’État fixent la rémunération en se comparant à des entreprises souvent cotées en bourse, « qui sont loin du contexte gouvernemental québécois ». Selon elles, des conditions comparables sont nécessaires pour le recrutement et la rétention des dirigeants. « Cet argument me laisse perplexe, car il peut s’appliquer à toutes les sphères d’activité gouvernementales. En effet, comment peut-on expliquer qu’il soit plus important d’attirer et de retenir les talents pour gérer des activités de nature commerciale que pour voir à d’autres enjeux de société que je considère à tout le moins comme aussi importants, tels que l’éducation des jeunes, la santé de la population et la gestion de la dette publique ? Dans les faits, je me demande à quel point le contexte supposément concurrentiel dans lequel œuvrent les sociétés d’État peut vraiment se comparer avec celui des entreprises du secteur privé », soutient Mme Leclerc.

Un fait vient contredire l’argumentaire des sociétés d’État : en trois ans, un seul dirigeant sur 13 est parti pour accepter un emploi dans le privé. « Nous n’avons noté aucun enjeu observable de rétention des hauts dirigeants dans ces sociétés d’État à vocation commerciale qui justifierait [leur] approche », peut-on lire dans le rapport.

Si les salaires des PDG sont fixés par décret du gouvernement, ce n’est pas le cas des vice-présidents. Le Trésor n’encadre pas vraiment les pratiques. Les balises sont à peu près inexistantes.

Des bonis à la signature lors de l’embauche, de 25 000 $ et 50 000 $, ont été accordés sans avoir été divulgués nulle part, dans le rapport annuel par exemple, à la SQ et IQ. De plus, dans ces deux sociétés d’État de même qu’à la SAQ, SQI, MNBAQ et SEPAQ, seulement des indemnités ont été divulguées (816 000 $ sur un total de plus de 4 millions). Des indemnités sont supérieures à ce qui est prévu dans les politiques de rémunération. À la SAQ et la SEPAQ, il n’y a tout simplement pas de politique. Résultat : la SAQ a donné 15 mois de salaire pour une période d’emploi de moins de deux ans ; la SEPAQ a versé cinq mois de salaire pour une période d’emploi de 15 mois.

Dans plusieurs commissions scolaires, le conseil des commissaires n’est pas informé des modalités du contrat de travail des directeurs généraux et adjoints et s’en remet aux ressources humaines. À la CSDM, trois indemnités de départ ont été accordées (total de 326 000 $) sans avoir été divulguées publiquement. Deux indemnités ont dépassé le maximum prévu à la réglementation, sans autorisation des instances de gouvernance.

La « rémunération incitative », la prime au rendement, est versée presque automatiquement. Il n’y a bien souvent aucune justification écrite. Les hauts dirigeants atteignent ou dépassent souvent la cible de rémunération incitative établie, « et ce, généralement avec peu d’égard quant à leur performance individuelle ».

La VG considère « surprenant » que cette rémunération incitative (qui atteint souvent 25 % du salaire de base, voire 30 % à 35 % selon le cas) « s’ajoute de facto au salaire utilisé pour calculer une indemnité de départ et couvre une période où le dirigeant ne travaille plus pour la société ».

Des augmentations salariales sont accordées sans tenir compte du rendement, constate la VG. Au 1er avril 2018, elles ont atteint de 2,5 % à 10 % à Loto-Québec.

« L’information présentée par des sociétés d’État concernant la rémunération de leurs hauts dirigeants est insuffisante, ce qui nuit à la transparence et à l’imputabilité des décideurs », tranche Mme Leclerc. Elle recommande un grand ménage. Le gouvernement doit « exercer le rôle qui lui revient » et encadrer la rémunération des hauts dirigeants des sociétés d’État.

Son rapport tombe alors que le gouvernement Legault vient de nommer un nouveau président chez IQ,  Guy LeBlanc - un ami du ministre Pierre Fitzgibbon -, dont la rémunération globale pourrait être le double de son prédécesseur.