Pour certains d’entre eux, la Coalition avenir Québec est un « PLQ 2.0 ». Pour d’autres, c’est un « PQ 2.0 ». Mais pour d’autres encore, « l’ADN de l’ADQ » s’y trouve toujours. La formation politique lancée par Mario Dumont et Jean Allaire aurait eu 25 ans cette année. Pour l’occasion, La Presse a joint 12 fondateurs, conseillers, députés et militants pour savoir s’ils la retrouvent dans le parti de François Legault. Un dossier de Martin Croteau

Bien vivante au sein de la CAQ pour certains...

Son nom a disparu, plusieurs de ses idées ont été reléguées aux oubliettes, mais l’Action démocratique du Québec (ADQ) reste bien vivante au sein de la Coalition avenir Québec (CAQ), selon plusieurs de ses anciens membres. Selon eux, le parti de François Legault répond à la première préoccupation des adéquistes : mieux gérer l’État.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre caquiste François Legault, en décembre 2018

« Au moins, on a fait quelque chose »

Jean Allaire (cofondateur et premier chef de l’ADQ en 1994)

L’avocat voit une parenté très claire entre les positions de la CAQ et celles de l’ADQ. Il cite en exemple le projet de loi sur la laïcité. Autre similitude, moins évidente : la volonté de François Legault de réformer le mode de scrutin, longtemps un cheval de bataille adéquiste. Plusieurs idées de l’ADQ ont été écartées — privé en santé, taux d’imposition unique, etc. —, mais M. Allaire reste convaincu que les adéquistes sont chez eux à la CAQ. « On aurait pu aller un cran plus loin, convient-il. Mais, au moins, on a fait quelque chose dans la direction voulue. »

« L’ADN de l’ADQ »

Janvier Grondin (député de l’ADQ de 2003 à 2011, député de la CAQ de 2011 à 2012)

« Je reconnais l’ADN de l’ADQ et je suis très heureux de la manière dont ils fonctionnent », résume l’ancien député au sujet du gouvernement Legault. Il ne doute pas une seconde que les anciens adéquistes soient chez eux à la CAQ, même si certains craignent que ses promesses soient trop coûteuses. « J’imagine que s’ils le font, c’est parce qu’ils ont les moyens de le faire, dit-il. Je ne pense pas que François Legault, son équipe et des gens comme François Bonnardel iraient mettre le Québec en déficit. »

S’atteler à l’économie

Joanne Marcotte (conseillère de Mario Dumont en 2007)

Cette ancienne chroniqueuse a contribué à élaborer la plateforme qui a permis à l’ADQ de réaliser le meilleur score électoral de son histoire en 2007. Elle a ensuite lancé le Réseau-liberté qui prône une économie de libre marché. S’il y a une parenté entre son parti et la CAQ, dit-elle, c’est surtout parce que plusieurs députés et conseillers ont rejoint l’équipe de François Legault. Elle attribue la victoire de la CAQ à sa position sur la laïcité, qui la « rebute », ainsi qu’à des promesses comme celle de construire un troisième lien à Québec. « Jusqu’ici, il est beaucoup dans les infrastructures, dans l’identitaire, dit Mme Marcotte. Je reconnais qu’il faut passer par là et régler ces choses-là. Mais j’espère que quand il aura réglé ça, il va s’atteler à l’économie et à régler les problèmes de main-d’œuvre parce qu’il en manque vraiment. »

« Des cousins »

Jean-Luc Benoît (attaché de presse et conseiller de Mario Dumont de 1994 à 2003)

Longtemps le bras droit de Mario Dumont, ce vétéran de la politique voit une filiation claire entre l’ADQ et la CAQ. « Ce ne sont pas des frères siamois, mais ce sont quand même des cousins », résume-t-il. Selon lui, la CAQ incarne la volonté adéquiste de trouver une « troisième voie » entre libéraux et péquistes. Selon M. Benoît, le gouvernement Legault ressemble « en grande partie » à ce qu’aurait été un gouvernement adéquiste. Il cite en exemple son soutien à l’abolition des commissions scolaires.

« À la bonne place »

Marc Snyder (conseiller de Mario Dumont de 1994 à 2003, vice-président et président de l’ADQ)

Cet adéquiste de la première heure a pris ses distances du parti pendant plusieurs années, en désaccord avec la croisade de Mario Dumont contre les accommodements raisonnables. Reconnaît-il l’ADQ dans le gouvernement caquiste ? « Des fois », répond-il. Il reste en désaccord avec ses positions sur la laïcité, la baisse des seuils d’immigration et le troisième lien à Québec. Il les juge incompatibles avec l’une des premières plateformes de l’ADQ, intitulée « Un gouvernement responsable ». Mais dans l’ensemble, il se montre satisfait du gouvernement, si bien qu’il a récemment fait un don à la CAQ. « Règle générale, ils sont à la bonne place, résume Marc Snyder. La priorité à l’éducation, je suis là. La décision de débloquer des milliers de places en CPE, je suis là. […] Les grandes missions de l’État sont très, très bien gérées à mon avis. »

« Plus centriste »

Carl Vallée (membre de l’ADQ de 2005 à 2012 et conseiller de Stephen Harper de 2009 à 2015, membre de l’équipe de transition de François Legault après les élections)

Ce passionné d’histoire politique voit des similitudes entre le parcours de l’ADQ et celui du Parti réformiste, qui a émergé dans l’Ouest canadien à la fin des années 80. « Il y a définitivement un parallèle à faire au niveau de la maturation politique entre un mouvement un peu plus populiste — on dirait grassroots en anglais — vers une formation qui tend à devenir un parti de gouvernement, un peu plus centriste et qui rassemble un peu plus largement. » Comme les réformistes du Parti conservateur, les adéquistes ont dû renoncer à des éléments controversés de leur programme. Plusieurs partisans du Parti québécois ont suivi un cheminement semblable, constate M. Vallée. « Il y a eu une réalisation, du côté péquiste comme du côté adéquiste, que ces deux formations politiques seules n’étaient pas capables de battre les libéraux », observe-t-il.

« De l’aplomb »

Jean-Simon Venne (directeur de logistique des campagnes de 1998 et de 2003, directeur de campagne de l’ADQ en 2007 et en 2008)

L’ADQ était basée sur l’idée que le Québec peut être mieux dirigé, estime cet entrepreneur qui a participé au lancement du parti. C’est pourquoi il a été « ému » par la victoire de la CAQ aux élections d’octobre, un succès auquel ont participé plusieurs de ses anciens frères d’armes. « Ils ont réussi à finalement prendre le pouvoir et à faire un changement d’air », lance-t-il. Selon M. Venne, l’esprit qui animait l’ADQ reste bien présent à la CAQ. Il retrouve la volonté de s’attaquer aux problèmes complexes et de parler vrai aux électeurs. Un exemple ? François Legault qui, en pleine période de crue, prévient les résidants des zones inondables qu’ils devraient envisager de déménager. « Ça prend de l’aplomb pour faire ça. »

... mais pas assez présente pour d’autres

Pour certains anciens adéquistes, la CAQ a tout bonnement pris le contrôle de l’ADQ et a jeté ses idées à la corbeille. Ils associent tantôt le parti de François Legault au Parti québécois (PQ), tantôt au Parti libéral du Québec (PLQ).

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre caquiste François Legault à l’Assemblée nationale, le 28 novembre dernier

« PLQ 2.0 »

Adrien Pouliot (vice-président de la commission politique de l’ADQ en 2011, actuel chef du Parti conservateur du Québec)

Le cofondateur de l’Institut économique de Montréal a été l’un des principaux opposants à la fusion de l’ADQ et de la CAQ. Lors du rapprochement entre les deux partis, ce partisan du privé en santé, de la baisse du fardeau fiscal et de la réduction de la taille de l’État ne croyait pas être sur la même longueur d’onde que François Legault, un ancien ministre péquiste. Huit ans plus tard, il n’a pas changé d’idée. « La CAQ, c’est le PLQ 2.0 », résume-t-il. M. Pouliot considère le Parti conservateur du Québec comme l’héritier de l’ADQ. « En campagne électorale, relate-t-il, je disais : “On est l’ancienne gang de l’ADQ qui n’a pas voulu fusionner avec la CAQ.” En une phrase, j’étais capable de résumer qui on était. »

« PQ 2.0 »

Claude Roy (député adéquiste de 2007 à 2008, aujourd’hui chroniqueur à Radio X)

Cet ancien élu critique aussi la CAQ, mais pour de tout autres raisons. « La CAQ, c’est le PQ 2.0 », dit-il. Il perçoit le projet de loi sur la laïcité comme une stratégie pour raviver la flamme indépendantiste. Aujourd’hui, dit-il, l’ADQ est « morte et enterrée », en particulier son souci de mieux gérer les finances publiques. « La seule volonté de Mario Dumont à l’époque, c’était de faire le ménage, dit M. Roy. […] On voit comme ça reste lourd : il y a encore des fonctionnaires payés des gros salaires alors qu’en bas, on laisse mourir une petite fille délaissée par la DPJ. »

« Je n’ai jamais été péquiste »

Linda Lapointe (députée de l’ADQ de 2007 à 2008, candidate du PLQ en 2012, députée du Parti libéral du Canada depuis 2015)

À l’instar de Sébastien Proulx et de Richard Merlini, cette ancienne adéquiste n’a jamais voulu rejoindre le parti de François Legault et s’est plutôt jointe aux libéraux. « Je n’ai jamais été péquiste et il y avait beaucoup de péquistes à l’intérieur de la CAQ », résume Mme Lapointe, qui fait maintenant partie du caucus de Justin Trudeau à Ottawa. Selon elle, il ne reste « plus grand-chose » de l’ADQ. Mais elle convient que plusieurs idées lancées par le parti — parfois dans la controverse — sont aujourd’hui largement répandues. « Ça a fait avancer la société québécoise et canadienne », observe-t-elle.

Plus « rien » de l’ADQ

Richard Merlini (député de l’ADQ de 2007 à 2008, coprésident de la campagne à la direction d’Éric Caire en 2009, député du PLQ de 2014 à 2018)

L’ex-député ne cache pas son allégeance au Parti libéral. Mais il reste convaincu que l’ADQ existerait toujours si Éric Caire en était devenu le chef en 2009. Selon lui, il ne reste « rien » du parti de Mario Dumont dans le gouvernement Legault. Il attribue au gouvernement Couillard le mérite d’avoir assaini les finances publiques. Et il ne croit pas qu’un gouvernement Dumont aurait « brimé les libertés individuelles » en légiférant sur la laïcité comme le fait la CAQ, selon lui. « On critiquait souvent Mario Dumont et on disait que c’était le parti d’un seul homme, dit-il. Mais la CAQ, c’est pire que ça. C’est M. Legault qui décide, qui donne l’orientation à tout. »

Dépensier

Hubert Meilleur (président de l’ADQ de 1994 à 1995, candidat de l’ADQ en 1994 et en 2003, ex-maire de Mirabel)

Comme maire de Mirabel, Hubert Meilleur avait une règle de pouce : « J’ai toujours dit que ça prenait une marge de manœuvre d’au moins 10 % par rapport au budget municipal pour intervenir en cas de mauvaise surprise. » Adéquiste de la première heure, il a toujours été préoccupé par la saine gestion des finances publiques. Il ne se reconnaît pas dans les orientations du gouvernement caquiste, qui prévoit construire un troisième lien à Québec, verser de généreuses compensations aux chauffeurs de taxi et consacrer des centaines de millions à la maternelle à 4 ans. « M. Legault reste beaucoup plus interventionniste, un peu comme le Parti québécois, observe-t-il. À l’époque, l’ADQ cherchait au contraire à “défonctionnariser” l’État québécois. »

Entrevue avec Mario Dumont

« L’héritage de l’ADQ est dans toute la société »

Elle n’a jamais eu la chance de gouverner, mais l’Action démocratique du Québec (ADQ) a laissé un héritage important dans la société québécoise, estime Mario Dumont. Aujourd’hui animateur à TVA et chroniqueur au Journal de Montréal, l’ancien chef constate que plusieurs propositions qu’il a autrefois lancées dans la controverse sont maintenant largement acceptées.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancien chef de l’ADQ Mario Dumont est aujourd’hui animateur à TVA et chroniqueur au Journal de Montréal.

Quel est l’héritage de l’ADQ aujourd’hui ?

L’héritage de l’ADQ est dans toute la société. On a commencé à parler du déficit zéro en 1994, ce n’était pas vraiment dans l’air du temps. Je pourrais nommer cinq ou six gros sujets qui ont été repris par tous les partis.

Avez-vous des exemples ?

Les commissions scolaires, Yves Bolduc a joué là-dedans. Le déficit zéro, Lucien Bouchard a joué là-dedans et les libéraux ont été là-dedans. Il y a plusieurs thèmes qu’on a inscrits dans le paysage et qui sont devenus des sujets de discussion publique. Certains diront qu’on a été en avance sur notre temps. À l’époque où l’on en parlait, ça nous faisait perdre des votes. Mais 10 ou 15 ans après, les partis ont gagné des votes avec ce qui nous en faisait perdre !

Comme dans le cas des accommodements raisonnables ?

Dans le cas des accommodements raisonnables, c’est davantage le PQ qui a bougé et c’est la CAQ qui a fini par prendre le pouvoir avec ça. À mon époque, le PQ d’André Boisclair était aux antipodes de ça. Il ne voulait pas toucher à ça et, cinq ans plus tard, c’était la Charte des valeurs de Bernard Drainville qui allait beaucoup plus loin que ce que j’ai jamais proposé à l’ADQ. Le plus loin qu’on était allés, c’était le rapport Bouchard-Taylor. Ce sont des sujets qu’on a amenés sur la place publique qui, ensuite, ont un peu influencé tous les autres partis, sauf peut-être Québec solidaire. La CAQ, le PQ, le PLQ, les trois ont plus ou moins travaillé avec des éléments qu’on avait semés dans l’opinion publique. Le début de la réflexion là-dessus est né dans les congrès de l’ADQ.

Vous aviez quitté l’ADQ lorsqu’elle a fusionné avec la CAQ. Comment avez-vous vécu sa disparition ?

J’étais dans les médias et j’ai analysé ça. Quand la CAQ est apparue dans le décor, j’étais détaché. S’il y avait eu une élection à ce moment, ce n’est pas clair que l’ADQ aurait gagné des sièges. Moi, j’avais fermé les livres en 2009. Si j’avais voulu rester, je serais resté. Pour le reste, c’est l’histoire du Québec que je regarde avec un œil d’analyste. J’ai des amis dans tous les partis et, d’ailleurs, je connais assez peu de gens à la CAQ. Bref, quand c’est arrivé, ça n’a pas vraiment eu d’impact pour moi. Mon deuil, je l’ai fait en 2009.

Avec un recul de 25 ans, êtes-vous satisfait de votre parcours politique ?

Oui. Si je ne pensais pas que ça allait avoir une certaine utilité et laisser une certaine trace dans la société, ce serait comme dire que la moitié de ma vie est allée aux vidanges ! Ce serait un peu déprimant à traîner ! C’est un mouvement politique qui a eu sa raison d’être, qui a eu son importance, qui a marqué le temps. Dans les amis avec lesquels j’ai fait de la politique, la quasi-totalité n’est plus en politique. On s’en reparle à ce jour, et peut-être qu’on se berce d’illusions, peut-être que c’est en partie vrai, mais on était avant notre temps. Ces sujets sont devenus plus forts, plus à la mode, ils ont eu plus de tirant d’eau plus tard. C’est peut-être parce qu’on était de très mauvais vendeurs [rires].

Ressentez-vous de l’amertume à l’idée que d’autres partis ont récolté ce que vous avez semé ?

Non. Si j’avais voulu rester en politique, je n’avais qu’à rester. À un moment donné, il faut que tu assumes tes choix. J’ai une très belle vie, je suis très heureux et je n’ai pas de regrets. Je n’ai pas d’amertume et j’ai bien du respect pour les gens des quatre partis qui font ce travail aujourd’hui. Et c’est pour ça que, quand je les critique, je le fais toujours avec une certaine réserve et jamais avec méchanceté parce que je sais ce qu’ils font. Et moi, je ne le ferais plus.

Donc vous n’envisagez pas un retour en politique ?

Je ne retournerai pas là. Lorsqu’on n’est plus prêt à faire le sacrifice, il faut avoir l’humilité de reconnaître à ceux qui le font la dose de don personnel que ça exige.

Petite histoire de l’ADQ

1994

Des militants libéraux insatisfaits de la position constitutionnelle de leur parti se rassemblent autour de Jean Allaire et de Mario Dumont pour lancer l’Action démocratique du Québec. Le parti obtient 6 % des votes aux élections.

1995

Mario Dumont rejoint la campagne du Oui au référendum sur l’indépendance. Son appui est conditionnel à un partenariat avec le Canada. Après la victoire serrée du Non, il propose un moratoire sur la question nationale.

2003

Quelques mois après avoir remporté quatre élections partielles, l’ADQ vit une déception aux élections générales. Le parti obtient 18 % des votes, mais ne fait élire que quatre députés.

2007

Porté par le débat sur les accommodements raisonnables, le parti remporte 31 % des suffrages et fait élire 41 députés. Mario Dumont est chef de l’opposition officielle.

2008

Après une campagne difficile, l’ADQ est réduite à sept députés aux élections générales. Mario Dumont démissionne.

2009

Gilles Taillon remporte de justesse la course à la direction. Son rival Éric Caire et le député Marc Picard partent pour siéger à titre d’indépendants. Gérard Deltell remplace Taillon à la fin de l’année.

2011

La CAQ devient un parti politique. Quatre députés, dont les ex-adéquistes Éric Caire et Marc Picard, rejoignent ses rangs. Les membres de l’ADQ approuvent la dissolution de leur parti et sa fusion à la CAQ.